Ceux qui font de l’étude de la droite radicale leur business savent aujourd’hui que ses jeunes enthousiastes sont tout autant obsédés par les questions de ‘virilité’ que par la politique. Comme l’a souligné le chroniqueur du New York Times, David French, dans un article perspicace l’année dernière : ‘La haine, combinée à l’insécurité et à la lâcheté masculines, pousse les jeunes hommes de droite vers le sectarisme et les préjugés. Contrairement à leur image de soi, ils ne sont ni forts, ni durs, ni courageux. Ce sont des moutons timides déguisés en loups, se déplaçant exactement là où les voix les plus bruyantes et les plus agressives leur disent d’aller.’
Plus récemment, un groupe de journalistes italiens s’est infiltré dans les rangs du mouvement de jeunesse du parti de la première ministre Giorgia Meloni, Frères d’Italie, et a diffusé des vidéos de leurs réunions secrètes. Alors qu’il y a beaucoup de jeunes femmes dans le mouvement, les rassemblements nocturnes capturés ici sont des rituels de Männerbund suants de fraternisation masculine – avec la poignée de main fantasque ‘romaine’ d’Hollywood – qui excitent les participants dans une frénésie agressive.
Ce que nous observons chez ces jeunes réactionnaires ne peut pas être réduit à la ‘masculinité toxique’ seule, qui est toujours présente. C’est aussi lié à une vision apocalyptique de l’histoire qui déclenche périodiquement des paniques morales dans les sociétés en moments de crise perçue. L’apocalyptisme politique d’aujourd’hui prend la forme d’une conviction inébranlable que nous vivons à une époque de décadence culturelle moderne et que le destin de la nation – peut-être même du monde lui-même – sera décidé par ceux qui auront le courage de saisir ce moment décisif.
Les coupables présumés sont nombreux et quelque peu incompatibles : des théologiens catholiques médiévaux eccentriques, des réformateurs protestants qui ont sapé l’autorité du Vatican, l’athéisme des Lumières françaises, l’individualisme libéral anglais, le socialisme marxien, le progressisme, le féminisme – tous culminant dans la catastrophe culturelle des années soixante. Les répliques que nous ressentons aujourd’hui – le wokisme, le transgenrisme, la politique identitaire – sont le résultat inévitable d’un mauvais virage historique pris il y a bien longtemps. Et donc l’histoire elle-même doit être amenée à changer de direction, maintenant. Cette vision prophétique est très attrayante, et très toxique, pour les jeunes hommes désireux de montrer un courage mal placé. Ils sont obsédés par l’idée de venir au secours, comme de vrais hommes.
Mais comment devient-on réactionnaire, psychologiquement parlant ? Quelles sont les étapes intérieures par lesquelles on passe de la curiosité au désespoir, du désespoir à la colère, de la colère à l’engagement, et de l’engagement à l’action ? Que se passe-t-il exactement dans les jeunes esprits attirés par la droite radicale aujourd’hui ?
Au cours des deux derniers siècles, certains des grands romanciers occidentaux ont exploré l’esprit révolutionnaire : Dostoïevski, Tourgueniev, Conrad, Koestler… la liste est longue. Mais les portraits non caricaturaux de l’esprit réactionnaire sont extrêmement rares. L’un des moins connus est le roman français Gilles (1939), de l’infâme intellectuel fasciste Pierre Drieu la Rochelle. Il plonge plus profondément dans la psychologie de la radicalisation de droite que tout autre roman de la période que je connais. Malheureusement, il reste non traduit, pour des raisons évidentes mais regrettables.
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