Le terme « kafkaesque » est depuis longtemps synonyme de la forme distincte de tyrannie imposée par des bureaucraties impersonnelles. Franz Kafka lui-même était un petit bureaucrate : il a passé sa vie à travailler dans le domaine de l’assurance, écrivant principalement la nuit. Mais en tant que petit rouage de la machine bureaucratique, il comprenait intimement la sensibilité de cette réalité.
Dans Le Procès, publié en 1925, Kafka raconte l’histoire de Josef K., accusé par une autorité lointaine et impersonnelle d’un crime inconnu, dont la nature n’est jamais dévoilée, ni par Josef ni par le lecteur. Aujourd’hui, alors que nous approchons du centenaire de sa publication, Le Procès se lit moins comme une fiction dystopique que comme un titre du Telegraph.
Le dimanche du Souvenir, la police de l’Essex a rendu visite à la journaliste Allison Pearson, pour l’informer — selon son propre récit — qu’elle faisait l’objet d’un rapport pour « incident de haine non criminel ». Apparemment, cela concernait un message qu’elle avait posté sur X (anciennement Twitter) un an auparavant, et qu’elle avait ensuite supprimé. Pourtant, la police n’a pas précisé de quel message il s’agissait, ni qui avait déposé la plainte. Dans une déclaration ultérieure, il est apparu que l’« incident de haine non criminel » était en réalité une enquête criminelle pour « incitation à la haine raciale ».
La controverse a depuis escaladé. Elon Musk est intervenu. Les Tories ont dénoncé la police de l’Essex pour «police de la pensée». De son côté, Starmer a déclaré que la police devrait se concentrer sur les crimes réels plutôt que sur des tweets malveillants.
Depuis l’Amérique, si ma visite la plus récente est un indicateur, la Grande-Bretagne, avec sa « police de la pensée », est désormais perçue comme un mélange d’objet de moquerie et de récit tragique d’avertissement. Ce n’est d’ailleurs pas le premier incident de ce genre. En 2021, Harry Miller a poursuivi la police en justice et a gagné, pour des allégations de «transphobie» basées sur des publications sur Internet. L’écrivaine féministe Julie Bindel rapporte qu’elle a reçu la visite par la police pour ses tweets en 2019. Et la fondatrice de Sex Matters, Maya Forstater, a fait l’objet d’une enquête de 15 mois par Scotland Yard pour un « crime de haine » à la suite d’un post, enquête qui a récemment été abandonnée. Ces incidents surréalistes illustrent un écart frappant entre la promesse bureaucratique et la réalité : un écart où, plus le système est impersonnel, plus il peut être habilement utilisé comme une arme par ceux qui en maîtrisent les rouages.
Une fonction vitale de la bureaucratie est de servir de substitut à la confiance sociale, surtout à grande échelle. Comme l’ont observé des critiques « post-libéraux » tels que Patrick Deneen, un ordre social libéral qui refuse d’embrasser une vision morale unifiée finira par bureaucratiser les aspects de la vie qui, ailleurs, seraient régis par la moralité. Les procédures de plainte, les départements des ressources humaines, la protection sociale, etc., formalisent tous la gouvernance dans des domaines de la vie sociale et morale publique où nous ne sommes plus d’accord sur le bien commun, et où, par conséquent, nous ne faisons plus confiance à ceux qui sont au pouvoir pour poursuivre ce bien. Nous considérons ces procédures comme plus neutres que les individus ; ainsi, au lieu de devoir argumenter sur la moralité, porter des jugements ou établir des relations, nous comptons de plus en plus sur ces mécanismes prétendument neutres et impersonnels pour le faire à notre place.
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