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Macron a dynamité la politique française Même avec Le Pen neutralisée, d'autres menaces guettent

Superman or superfool? (MOHAMMED BADRA/POOL/AFP via Getty Images)

Superman or superfool? (MOHAMMED BADRA/POOL/AFP via Getty Images)


juillet 8, 2024   4 mins

‘Vivez dangereusement !’ était le conseil de Nietzsche à ses disciples, ces ‘bons Européens’, les ‘législateurs de l’avenir’. Il voulait qu’ils envoient leurs ‘navires dans des mers inexplorées’, qu’ils ‘vivent en guerre’ avec leurs pairs et eux-mêmes. C’était le secret, comme il l’écrivait dans Le Gai Savoir, ‘pour tirer de l’existence la plus grande fécondité et le plus grand plaisir’.

Depuis qu’il a annoncé des élections anticipées le 9 juin, Emmanuel Macron vit dangereusement. La décision a été prise après que sa coalition centriste ait été reléguée à la deuxième place par le Rassemblement National (RN), qui a remporté plus du double des voix aux élections européennes. Aujourd’hui, alors qu’il devient clair que la menace du RN a été neutralisée par une montée inattendue de la gauche française, il semble que le pari ait payé.

Même si son parti Ensemble a été relégué à la deuxième place, les résultats peuvent sûrement être interprétés comme une victoire partielle pour Macron — un politicien, rappelons-le, qui a été élu pour affronter la vague populiste d’extrême droite. En 2017, Macron a remporté la présidence française par une large marge, battant Marine Le Pen 66 % contre 34 %. Cinq ans plus tard, il a répété l’exploit, remportant 59 % des voix. Cependant, en l’espace de deux mois, sa majorité absolue à l’Assemblée nationale, la chambre basse du Parlement français, s’est transformée en une majorité relative aux élections législatives. Au cours de l’année suivante, sa popularité a commencé à décliner, en grande partie à cause de deux lois : l’une portant l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, l’autre durcissant l’immigration.

La première a été adoptée par décret et la seconde avec l’aide de votes conservateurs voire d’extrême droite. Avant les résultats d’hier, il y avait des inquiétudes selon lesquelles, en essayant d’apaiser l’extrême droite, Macron aurait pu l’encourager. En effet, Jordan Bardella, le nouveau leader du Rassemblement National, a qualifié la loi sur l’immigration de Macron d’une ‘victoire idéologique’ pour son parti. Cela rappelait un autre avertissement de Nietzsche, cette fois dans Par-delà bien et mal : ‘Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. Et quand ton regard pénètre longtemps au fond d’un abîme, l’abîme, lui aussi, pénètre en toi.’ En adoptant les positions de l’extrême droite pour les affronter, il semblait que Macron risquait de devenir lui-même un monstre.

Cependant, isolé au sein de son propre parti, Macron semble avoir suivi le conseil de Nietzsche d’être ‘en guerre’ avec ses pairs et lui-même. Mis à part son cercle intérieur, la plupart de son parti ne savait pas qu’il allait annoncer des élections anticipées — pas même son Premier ministre alors en exercice Gabriel Attal — les mettant dans une situation difficile. Son ancien Premier ministre Edouard Philippe n’a pas non plus été informé. Un politicien toujours très populaire qui dirige une faction au sein d’Ensemble, Philippe a déclaré que la décision de Macron d’appeler à des élections signifie la ‘fin du Macronisme’.

‘Macron semble avoir suivi le conseil de Nietzsche d’être ‘en guerre’ avec ses pairs et lui-même.’

Ce qui se passera ensuite est l’affaire de tous : avec un parlement suspendu semblant se profiler à l’horizon, soutenu par le Nouveau Front Populaire (NPF), nous sommes dans les ‘mers inexplorées’ que Nietzsche qualifiait de dangereuses. Un gouvernement d’unité nationale, regroupant le centre-gauche (les socialistes et les Verts) et le centre-droit (les républicains), sera-t-il formé ? Bien que la construction de coalitions ait été une caractéristique des Troisième et Quatrième Républiques, la France a manqué du savoir-faire politique pour le faire depuis que Charles de Gaulle a établi la Cinquième République en 1958 avec une présidence forte.

Ce que nous savons, c’est que, malgré sa défaite face au RN, Macron se retrouve dans une position plus faible qu’avant les élections européennes. Alors que la présidence française, et donc Macron, conservera une main ferme dans les affaires extérieures, la politique étrangère de Macron sera affaiblie. Macron a été à l’avant-garde des efforts pour renforcer l’Europe face à l’agression russe, pour faire en sorte que l’Europe ‘acquière une seule volonté’, comme l’écrivait Nietzsche dans Par-delà bien et mal sur le sujet de l’attitude menaçante de la Russie et de la nécessité d’une Europe ‘également menaçante’. Dans le même ordre d’idées, Macron a clairement indiqué qu’il était prêt à envoyer des troupes au sol françaises en Ukraine, au grand dam de ses alliés occidentaux, et a promis à Zelensky la livraison de missiles et d’avions français pour aider à l’effort de guerre. Jean-Luc Mélenchon, en revanche, a appelé à plusieurs reprises à ce que les États-Unis ‘n’annexent pas l’Ukraine à l’OTAN’. Pour lui, des liens plus étroits avec l’Ukraine ne sont certainement pas une priorité.

Ainsi, Macron, qui a encore trois ans de présidence devant lui, pourrait bientôt se retrouver dans une autre situation délicate. En fin de compte, c’est à ce moment-là qu’il sera jugé. Dans son ouvrage semi-autobiographique Ecce homo, Nietzsche a écrit :

« Je connais ma destinée. Un jour s’attachera à mon nom le souvenir de quelque chose de formidable, — le souvenir d’une crise comme il n’y en eut jamais sur terre, le souvenir de la plus profonde collision des consciences, le souvenir d’un jugement prononcé contre tout ce qui jusqu’à présent a été cru, exigé, sanctifié. Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite. »

Le nom de Macron, bien sûr, ne s’attachera peut-être pas à ‘quelque chose de formidable’. Mais il est juste de dire que, depuis son arrivée au pouvoir en 2017, il a dynamité le système politique français et a mis fin à la domination des anciens partis socialistes et républicains. Peu de temps après la dissolution du parlement, il a déclaré : « Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant, on va voir comment ils s’en sortent. » Si Macron a fait exploser le système politique français, nous saurons bientôt s’il s’est lui-même fait exploser dans le processus.


Hugo Drochon is a historian, and the author of Nietzsche’s Great Politics.

HDrochon

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