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Ce que l’Amérique peut apprendre de 1924 La convention la plus laide de l'histoire des États-Unis a guéri les divisions

The life of the Republic is on the line. Al Drago/Bloomberg via Getty Images

The life of the Republic is on the line. Al Drago/Bloomberg via Getty Images


juillet 18, 2024   6 mins

À l’été 1924, le Parti démocrate s’est réuni à New York pour ce qui allait être l’une des conventions les plus moches de l’histoire des États-Unis. Cela a non seulement révélé les fractures au sein du parti, mais aussi celles du pays dans son ensemble : l’animosité et la méfiance autour des sujets tels que la race, l’ethnie, la religion, la culture et l’idéologie ont alors jeté une ombre sur la politique américaine, comme c’est le cas aujourd’hui. Et pourtant, malgré tout cela, ce moment historique a montré que des Américains de camps opposés pouvaient encore se rassembler et réaliser un destin commun. 

Cet épisode est particulièrement poignant aujourd’hui, à la suite de la tentative d’assassinat de Donald Trump, alors qu’il semble que la vie même et l’unité de la république soient en jeu. Compte tenu de cela, 1924 offre une parabole non seulement pour les Démocrates mais aussi pour les Républicains et, en fait, pour tous les Américains, qui pourraient être intéressés d’adopter une vision à plus long terme et d’envisager comment la nation pourrait traverser cette saison de désunion, sombre et menaçante. 

Pendant les années vingt, les Républicains étaient le parti « in », unissant les intérêts financiers et industriels centrés dans le Nord-Est avec les agriculteurs aisés, les professionnels et les hommes d’affaires de la plupart du reste du pays, à part le Sud. L’élection de 1920 a vu le triomphe des Républicains sous Warren Harding après l’interlude de Wilson et la Première Guerre mondiale. 

Les États de l’ancienne Confédération ont voté contre les Républicains non seulement par amertume post-guerre civile, mais aussi parce que leur région avait été réduite à un arrière-pays économique, exclu du développement industriel qui a transformé le Nord et condamné le sud à être son marché captif. Le fait que les élites du Sud aient conservé la hiérarchie raciale de Jim Crow en plus d’une économie agraire à moitié féodale, basée sur l’exploitation des anciens esclaves et des blancs pauvres, n’a pas aidé. Et pour ces raisons, eux, ainsi que certaines des régions également sous-développées de la périphérie occidentale, se considéraient comme des parias et des opposants au capital du Nord-Est, et étaient donc Démocrates. 

Mais ils n’étaient pas les seuls dans le pays à avoir des reproches. La classe ouvrière industrielle dans de nombreuses grandes villes du ils Nord a souffert des effets d’une économie très inégale : des taudis misérables, des salaires bas et de mauvaises conditions de travail. Cela les a unis avec l’arrière-pays et a renforcé les Démocrates comme le parti de ceux qui sont « out ». Il y avait cependant un problème : les rangs des classes urbaines étaient gonflés par les immigrants et leurs enfants, beaucoup étaient catholiques ou juifs et, s’ils n’étaient pas irlandais, ils venaient de cultures encore plus étrangères du sud et de l’est de l’Europe. Pendant ce temps, le Sud et l’Ouest américains étaient — tout comme leurs rivaux du Nord — majoritairement anglo-protestants et étaient, pour le moins que l’on puisse dire, sujets à la xénophobie et aux préjugés anti-catholiques

Il convient de mentionner que le fiasco de 1924 a eu lieu avant que les affinités culturelles ne deviennent le principal critère d’affiliations partisanes, comme c’est le cas aujourd’hui. Cela signifiait que les partis, les Démocrates en particulier, pouvaient avoir des circonscriptions avec des points de vue radicalement opposés sur l’identité ou la moralité (« questions de guerre culturelle ») mais faire partie de la même coalition électorale. 

La division intra-démocrate a préparé le terrain pour le face-à-face de 1924 au Madison Square Garden, pour choisir un adversaire au successeur de Harding, Calvin Coolidge. Les deux favoris étaient le gouverneur Al Smith de New York et le sénateur William Gibbs McAdoo de Californie. L’Irlando-Italien Smith était un tribun du prolétariat urbain, qui avait gravi les échelons, depuis des origines modestes jusqu’à devenir un fervent défenseur des réformes progressistes dans le gouvernement de l’État. Il avait été soutenu par la société Tammany Hall de New York. McAdoo était un technocrate financier, originaire du Tennessee, qui avait présidé à l’ouverture de la Réserve fédérale en tant que secrétaire au Trésor, sous son beau-père Woodrow Wilson. Travaillant pour sa candidature – bien qu’il ne puisse l’admettre- se trouvait le Ku Klux Klan. 

La tragédie était que les tendances réformistes, qui se chevauchaient entre Smith et McAdoo, ne pouvaient pas se fondre en un tout cohérent, à cause de l’hostilité de leurs bases. Au lieu de cela, ils se sont affrontés sur la Prohibition et sur la prise de position anti-Ku-Klux-Klan. Les débats ont été entachés de violence entre les durs de Tammany Hall et les membres du Ku-Klux-Klan ; le processus de nomination s’est étalé sur 103 scrutins épuisants et sur 16 jours. Le journaliste américain H.L. Mencken l’a décrit comme « 3 000 chiens dans un grand fossé, tous poursuivant frénétiquement leur queue’. 

L’annonce d’un vainqueur a été aussi décevante que fatale aux chances des Démocrates lors de l’élection de novembre : les délégués bloqués ont opté pour John W. Davis, un avocat de Virginie-Occidentale, qui ne partageait ni les talents de Smith ni ceux de McAdoo. Il n’y a pas eu de rassemblement et, comme prévu, les Démocrates ont subi une défaite écrasante face aux Républicains de Coolidge, n’obtenant que 29 % des voix populaires et ne remportant que 12 États, tous dans le Sud. Le tribalisme interne au parti a perduré jusqu’à l’élection suivante en 1928, lorsque Smith a remporté la nomination, et plusieurs États ex-Confédérés se sont tournés vers le candidat républicain Herbert Hoover, plutôt que de voter pour un catholique. 

En fin de compte, il a fallu une crise, à savoir le Crash de 1929, pour rassembler à nouveau les Démocrates à temps pour 1932. Le candidat de cette année-là était l’homme qui avait présenté Smith comme « le Joyeux Guerrier » en 1924. Franklin D. Roosevelt a fait ce que son prédécesseur n’avait pas pu faire : unir la classe ouvrière industrielle avec les régions reculées sous la bannière du New Deal, malgré leur haine persistante. L’administration de F. D. Roosevelt a accordé de l’aide et de l’emploi aux travailleurs tout en subventionnant le développement du Sud et de l’Ouest. Des compromis ont été conclus, cependant, en ce qui concerne l’égalité raciale et les syndicats dans le Sud, dont la culture réactionnaire ne pouvait pas encore accepter le rythme du changement (laissant à une époque ultérieure le soin de promulguer les droits civiques). 

‘Franklin D. Roosevelt a fait ce que son prédécesseur n’avait pas pu faire : unir la classe ouvrière industrielle avec les régions reculées.’

Mais l’économie est revenue à la production : les travailleurs de toutes races et croyances ainsi que les régions enclavées ont vu leurs conditions de vie s’améliorer depuis le tréfonds de la Dépression, même s’il a fallu la Seconde Guerre mondiale pour consolider ce progrès. Alors que McAdoo est resté partisan de Roosevelt, Smith est devenu un critique féroce, n’admettant jamais que le succès du New Deal reposait sur des fondations que lui et son rival lors de la convention avaient posées ensemble : son État providence en développement était une synthèse de leurs meilleurs instincts. 

Ce moment optimiste de l’histoire américaine montre bien que les ressentiments apparemment inextricables entre les tribus en conflit peuvent être surmontés par un programme commun de réforme matérielle et de renouveau. Mais comment un tel plan pourrait-il être appliqué à l’Amérique divisée d’aujourd’hui ? 

Il est important de se rappeler qu’en dessous du tribalisme « ami-ennemi » qui s’est installé, les deux partis sont toujours des coalitions d’intérêts. Les bouleversements après 2016, tant à droite qu’à gauche, découlent moins de la classe ouvrière que des anxiétés de deux élites subalternes rivales : la classe « gentry » des PME , qui préside sur l’arrière-pays désindustrialisé et en difficulté (comme les endroits représentés par McAdoo) ; et les classes managériales professionnelles ou « cléricature », en déclin social, qui vivent dans les grandes métropoles urbaines (comme les endroits représentés par Smith). 

Ces deux factions ont une influence démesurée au sein de leurs partis ; elles ont toutes deux rejeté le néolibéralisme. Et l’esquisse d’un programme pour les unir est devenu évident ces dernières années. Après tout, le Bidenomics est une adaptation par les Démocrates des mêmes critiques contre la mondialisation que Donald Trump a formulées en 2016, tandis que les Républicains populistes au Sénat ont développé leurs propres politiques industrielles, qui sont plus proches de ce que font les Démocrates, telles que des baisses d’impôts et des propositions d’austérité, toujours officiellement favorisées par la direction de leur parti. 

Un programme de restructuration industrielle profiterait à la fois à la cléricature et à la gentry : pour la première, l’expansion de la demande de talents managériaux qui découlerait de la décentralisation de l’activité économique, loin des secteurs de prestige surdimensionnés tels que la finance et la technologie ; pour la seconde, du capital, que le rapatriement apporterait aux régions délaissées, sur lesquelles elles règnent en tant qu’élites locales. Cela créerait également des emplois pour la classe ouvrière. Le fait que les politiques industrielles nationales des Démocrates entraînent un investissement accru dans des districts à faible réglementation, qui votent Républicains, est déjà un signe qu’un tel modus vivendi non nul est plausible, si l’incitation politique n’est pas constamment polarisée, comme l’ont fait Smith et McAdoo. 

Ce qui est nécessaire, c’est d’abord une vision positive autour de laquelle les tribus peuvent se rassembler. Si cela ne fonctionne pas, un état d’urgence, comme entre 1929 et 1945, pourrait faire l’affaire. Une invasion chinoise de Taïwan et la saisie de son industrie des puces, avec toutes les grandes implications géopolitiques et économiques que cela aurait pour l’Amérique, pourrait être l’impulsion qui finalement réunirait ces groupes qui se bagarrent.  

Cela bien sûr en supposant que les Américains puissent mettre de côté leurs différences, comme l’ont finalement fait les factions de Smith et de McAdoo, a la poursuite de quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. Il s’agit d’un pari décennal : l’horizon à court terme est certes sombre, car le pays doit rester uni suffisamment longtemps pour mettre en œuvre de telles réformes, et les tensions actuelles sont aussi toxiques qu’il y a 100 ans. Mais en regardant vers l’avenir et en ayant confiance en eux-mêmes, les Américains doivent le reconnaître : la seule issue est d’y passer. 


Michael Cuenco is a writer on policy and politics. He is Associate Editor at American Affairs.
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