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Donald Trump : le dernier des Yuppies Leur triomphe des années 80 s'est transformé en tribulation

The 'short-fingered vulgarian'. Daniel J. Barry/WireImage

The 'short-fingered vulgarian'. Daniel J. Barry/WireImage


juin 20, 2024   6 mins

Je sais une chose à propos des yuppies : l’acronyme pour les jeunes professionnels urbains qui sont entrés dans l’imaginaire populaire dans les années 80, obsédés par leur argent, leur carrière et toutes les préoccupations, prédilections et jouets qui ont accompagné le trajet en BMW. 

Je m’étais moi-même passé de Pepsi à Michelob pour finir par discuter avec une grande profondeur intellectuelle et subtilité de l’huile d’olive de Toscane. De mon institut d’enseignement supérieur d’élite, j’étais descendu sur la grande ville, avais vendu des articles de magazine, puis le livre, puis les droits du film – tout cela n’était qu’une simple introduction au premier Cuisinart, au premier magnétoscope et à la découpe de champignons shiitake sur des plans de travail en bois de boucher. J’étais convaincu que The Big Chill était une grande réalisation cinématographique et que Bright Lights, Big City de Jay McInerney était un grand roman américain. Alors que ma femme et moi nous promenions depuis notre loft rénové dans un ancien bâtiment industriel – notre petit coin de propriété immobilière acquis au moyen d’une hypothèque à un taux ridiculement élevé que notre ménage à double revenu avait été ridiculement heureux d’obtenir – nous avons goute notre première bouchée du fruit défendu du Jardin d’Eden qu’était New York City : pas une pomme, mais un David’s Cookie [NDT une marque de cookie originaire de New York]. 

C’est donc avec une grande anticipation que j’ai commencé à feuilleter les pages de Triumph of the Yuppies de Tom McGrath. Enfin, quelqu’un pourrait peut-être apporter de l’ordre et de la perspective à la dissonance cognitive des séances d’entraînement de Jane Fonda, des bretelles LL Bean, des MBA, des parquets en bois franc et de l’épopée de The Preppy Handbook. 

Bien sûr, McGrath ne serait pas le premier à s’étendre sur les années 80, des traders frénétiques de Liar’s Poker de Michael Lewis aux guerriers de classe toxiques de Bonfire of the Vanities de Tom Wolfe en passant par les épicuriens qui peuplent la célèbre série de bandes dessinées, Yuppies, Rednecks, and Lesbian Bitches from Mars. Pourtant, j’entretenais l’espoir que, enfin, McGrath pourrait éclairer un paradoxe persistant : comment une décennie de travail acharné, de grands espoirs et d’ambition extraordinaire nous a menés à notre moment actuel de colère collective, de méfiance et de désespoir. Aujourd’hui, notre monde est menacé par le dernier (et sans doute l’apothéose) de la tribu yuppie, Donald Trump, qui croit toujours qu’une cravate rouge est de rigueur, que mentir est une forme de capitalisme d’entreprise, et que mettre du rouge à lèvres sur un cochon est une bonne stratégie commerciale – tant que c’est du Dior ou du Louboutin. Mais peut-être serait-ce trop demander à McGrath, ou à tout auteur d’un livre qui inclut également des réflexions sur le Tofutti [NDT Glaces sans lactose]. 

À son honneur, l’auteur nous rappelle sincèrement que : « alors que des milliers de personnes dans l’Ohio et le Michigan visitaient des soupes populaires, et que deux tiers de tous les Américains déclaraient ressentir de l’anxiété à l’idée de perdre leur maison ou leur entreprise… des personnes aisées dépensaient librement pour des choses comme les voyages, l’immobilier haut de gamme, les bijoux, la nourriture gastronomique, le vin fin et les fourrures. » Malheureusement, McGrath n’offre aucune explication profonde sur le fait que l’éviscération de la classe moyenne américaine soit passée inaperçue pour tant de gens, sauf pour l’attrait hypnotisant de regarder des riches mal se comporter dans 357 épisodes de Dallas et 220 épisodes de Dynastie d’Aaron Spelling. 

Le livre souligne l’injustice de la division tragique de l’Amérique, mais s’arrête avant de condamner l’indifférence joyeuse de ma génération à la souffrance des autres, qui ne peut avoir d’égale que notre fascination pour l’argent des autres. Il n’y a pas de scandale moral ici, pas de sentiment prémonitoire de l’avancée inéluctable de la privatisation à travers le monde, pas de dégoût exprimé sur le fait que le capital financier à grande échelle laisserait une traînée de misère dans le tiers-monde. Et on ne voit pas comment cette fracture fatale entre les nantis et les démunis pourrait éventuellement être transformée en profit par ceux qui exploiteraient l’envie, le ressentiment et la rage, et transformeraient les restes impuissants d’un électorat désillusionné en insurgés furieux, comme ce fut le cas le 6 janvier [NDT : date anniversaire de l’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump] 

Ignorant de telles indications d’une catastrophe imminente, McGrath reste sur le droit chemin en suivant l’histoire de Michael Milken, qui est passé d’intello de la finance à roi des obligations pourries avant de succomber à la fraude en matière de transactions de titres. Il détaille la conquête du rapport trimestriel par le PDG de General Electric, Jack Welch, tout en ruinant des moyens de subsistance à travers l’Amérique des petites villes. Mais il ne parvient pas à expliquer plus en détail pourquoi, à l’époque, nous enviions réellement nos amis titulaires de MBA qui se dirigeaient vers les postes de direction générale. Alors que nous savions qu’il se passait quelque chose d’immense inportance dans les bureaux de Goldman Sachs, Morgan Stanley, Shearson Lehman et Kidder Peabody, nous ne considérions pas vraiment que 100 heures au bureau chaque semaine pourraient avoir un impact autre que celui qui pouvait régler l’addition chez Nobu. 

« Notre monde est menacé par le dernier de la tribu yuppie, Donald Trump, qui croit toujours qu’une cravate rouge est de rigueur » 

L’ère yuppie a vu l’innocence américaine sacrifiée sur l’autel des fusions d’entreprises, des rachats par effet de levier et des obligations de pacotille. McGrath compare les discours optimistes de Ronald Reagan avec les réalités économiques d’une classe moyenne vidée et la stratification sociologique qui a abouti à deux Amériques. Mais ici aussi, il omet de noter la bifurcation menaçante de la promesse de l’homme publicitaire Hal Riney selon laquelle « C’est à nouveau le matin en Amérique ». Cette déclaration optimiste qui a conduit Reagan au bureau ovale se transformerait finalement en un catalogue paranoïaque du carnage américain qui a poussé Trump vers la même destination en 2016 – et pourrait une fois de plus faire l’affaire. 

On nous rappelle que l’élitisme, la fuite des blancs, le racisme et la corruption alimentée par la cocaïne allaient de pair avec Perrier, les stylos Cross et la crème glacée haut de gamme. Mais Yuppies peine à raconter deux récits irréconciliables : McGrath doit exposer les échecs de l’industrie automobile américaine, la tragédie du travailleur de l’aciérie américaine et les ravages des saisies agricoles généralisées – tout en n’oubliant pas de mentionner l’essor de la culture du café à Seattle et des McMansions au Connecticut. 

Il est peut-être approprié que le registre émotionnel de McGrath n’aille pas plus loin que l’ironie, illustré par sa narration du parcours de Jerry Rubin de Hippie à Yippie en passant par Yuppie, puis courtier en bourse et nabab capitaliste du réseautage – pour ensuite retourner à l’irrévérence culturelle. Mais l’ironie de McGrath s’arrête là, négligeant d’ajouter comment la collection de 70 000 cartes de visite de ses collègues yuppies par Rubin [NDT comédien américain] conduirait aux absurdités vénales de Soho House et Zero Bond. 

Sinon, comment l’armée de Material Girls rapaces et de Modern Families au volant de Saab a-t-elle défini l’arène culturelle d’aujourd’hui ? McGrath a eu l’occasion de relier la fameuse marchandisation de tout partout tout le temps par les yuppies à un monde où les icônes de la mode des années 80 telles que Calvin Klein et Gloria Vanderbilt ont fait de ce mantra des années 80, « habillez-vous pour réussir », un travail à plein temps pour les influenceurs. Mais une fois de plus, il évite les horribles vérités selon lesquelles la soif pure de célébrité, d’argent et de pouvoir se transformerait en armées d’avatars baignant dans le capitalisme – des pectoraux toniques aux teints parfaits. 

McGrath décrit le changement de langage lui-même, comme dans le jargon des yuppies adjacents aux feuilles de calcul : « interface », « résultat net », « voie rapide » et « prioriser » – mais ne franchira pas la prochaine étape qui dérange : que l’amour moderne et l’amitié finiraient par s’aligner sur des algorithmes. Il n’approfondit pas non plus les obsessions métatextuelles de l’époque, la victoire des apparences sur la profondeur, la défaite de l’idéalisme des années 60 par la poursuite futile de la régurgitation de la culture pop, alors que l’interrogation de la responsabilité corporative et politique était remplacée par une question plus pressante : Qui a tiré sur J.R. ? 

Les Yuppies échouent également à montrer comment la cruauté violente de Blake Carrington de Dynastie pourrait avoir eu un lien avec l’ascension d’un bébé népotique coureur a qui l’ultime chronique des mœurs des yuppies, le magazine Spy, a donné le célèbre surnom un « vulgaire aux doigts courts » – Donald Trump. À cet égard, McGrath pourrait être coupable d’ignorer le plus poignant de tous les phénomènes yuppie, à savoir les origines de l’absurde maxime selon laquelle pour réussir, nous devons tous devenir nos propres marques. Ce fléau n’a pas échappé à ce même promoteur immobilier des années 80, qui après une série d’échecs commerciaux et des pertes financières de plus de 1 milliard de dollars (et l’ultime humiliation d’être banni de la liste Forbes 400) a pris une décision fatidique : Cet « über-yup » là ne développerait plus et ne vendrait plus de propriétés – ou quoi que ce soit de réel, en fait – mais seulement son nom, qui vaudrait de l’or. Les conséquences furent dévastatrices. 

Un quart de siècle après la crise des otages iraniens qui a condamné la présidence de Jimmy Carter et a fait de la star de Bedtime for Bonzo [NDT comédie pour enfants des années 50 avec Ronald Reagan] l’homme le plus puissant du monde, une nouvelle ère a commencé à poindre. Le 8 janvier 2004, The Apprentice a fait ses débuts sur NBC, offrant un festin sans fin de yuppie qui donnent du sens, au vulgaire aux doigts courts lui-même. C’était le moment où le triomphe se transformait en tribulation. 


Frederick Kaufman is a contributing editor at Harper’s magazine and a professor of English and Journalism at the College of Staten Island. His next project is a book about the world’s first political reactionary.

FredericKaufman

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