« C’est son propre âme que le Canada risque aujourd’hui. » Le câble de Rudyard Kipling à un journal de Montréal était une intervention explosive dans l’élection de 1911 du pays, qui tournait autour d’une question familière : les Canadiens devraient-ils se soumettre à la « force économique » des États-Unis ? Le Premier ministre libéral Sir Wilfrid Laurier avait parié que les Canadiens accueilleraient un accord de libre-échange expansif, mais Kipling a exhorté cette jeune nation à ne pas s’attacher à un peuple imprudent qui « a tant décimé ses ressources » qu’il avait besoin de « champs vierges » ailleurs. Ses mots ont renforcé de manière décisive les opposants conservateurs de Laurier, qui alléguaient qu’il colludait avec les Américains pour annexer le Canada. Laurier a rapidement subi une défaite écrasante.
Bien que le spectre des tarifs plutôt que du libre-échange ait initié le tumulte actuel dans les relations canado-américaines, les fantômes de 1911 ne sont pas loin. Au début, Donald Trump a suggéré que les Canadiens pourraient éviter ses lourds tarifs d’importation prévus en renforçant leur sécurité frontalière, mais il a rapidement proposé une meilleure alternative : le Canada devrait devenir le 51e État de l’Amérique.
Les Canadiens ont maintenant transformé une blague en crise. En décembre, Chrystia Freeland a démissionné de son poste de ministre des Finances, alléguant que le Premier ministre Justin Trudeau dépensait pour des astuces électorales alors qu’il devait garder sa « poudre fiscale » sèche pour une guerre commerciale avec Trump. Et à la date résonnante du 6 janvier, la propre démission de Trudeau a suivi.
L’alarme suscitée par les réflexions de Trump a manqué de perspective historique. Le journaliste Andrew Coyne l’a qualifié d’« complètement fou », écrivant presque en larmes sur la façon dont « l’hypothèse de base de l’histoire canadienne, que nous aurions toujours un allié stable et démocratique au sud, est terminée ». Pourtant, comme le montre le destin de Laurier, c’est tout simplement faux. Les Canadiens ont toujours été préoccupés par la menace américaine sur l’autonomie et même la souveraineté de leur nation. Jusqu’à récemment, ses politiciens voyaient les États-Unis non pas comme un grand frère amical mais comme un géant indiscipliné avec une faim effrayante de ressources. Ces craintes ont provoqué des débats qui étaient toujours et parfois utilement introspectifs : sur ce qu’est le Canada et comment il pourrait avoir besoin de changer.
Certains Canadiens ont exigé « l’annexion » avant même que leur nation n’existe. En 1849, des marchands influents de Montréal, alors capitale de la province du Canada, ont formé une Association d’Annexion. Ils ont soutenu que les colonies nord-américaines de la Grande-Bretagne ne pourraient jamais augmenter leur population ou prospérer tant qu’elles ne pourraient pas briser les murs tarifaires protégeant le vaste marché américain. Et le seul moyen viable de le faire, disaient-ils, était de demander une union politique avec les États-Unis.
Après que les bâtiments du Parlement de Montréal aient été incendiés par des émeutiers, les fonctionnaires britanniques ont apaisé ces mécontentements en négociant un accord commercial, mais l’annexion reviendrait dans le sillage de la guerre civile américaine — cette fois comme une menace plutôt qu’une promesse. Des hommes d’État américains ont menacé d’annexer les territoires nord-américains en compensation du soutien britannique au Sud défait. Bien que cela ne se soit pas concrétisé, la perspective d’une invasion a persisté pendant des décennies par la suite.
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