Le 21 avril 2002 a marqué une date charnière dans la politique française d’après-guerre. En allumant leur télévision ce soir-là, les Français ont entendu la nouvelle surprenante que Jean-Marie Le Pen, leader du Front National — un parti comptant un ancien membre de la Waffen SS parmi ses fondateurs — s’était qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle française avec 18 % des voix. Après une carrière politique de 46 ans, Le Pen avait percé les marges pour atteindre le cœur de la vie politique française.
Le Pen est né le 20 juin 1928, dans le village de pêcheurs breton de La-Trinité-sur-Mer. Il a été baptisé « Jean », mais a ensuite ajouté son deuxième prénom « Marie », espérant que la référence à la Vierge attirerait les électeurs catholiques. Les origines familiales étaient modestes : son père était pêcheur, sa mère couturière. Surnommé le « Menhir » — terme celtique désignant un monolithe préhistorique — Le Pen a beaucoup mis en avant ses racines bretonnes. Après tout, qui pourrait être plus « français » qu’une personne enracinée dans le sol de la France ancienne ?
Le père de Le Pen est mort en 1942, lorsque son bateau de pêche a heurté une mine. Bien qu’il s’agisse d’un accident, il a été accordé le statut de celui qui avait « péri pour la France », et son fils est ainsi devenu un « pupille » de la nation. Élève intelligent mais indiscipliné, Jean-Marie a été éduqué dans des écoles publiques et catholiques, avant d’être expulsé de deux d’entre elles. En 1946, il quitte la Bretagne pour étudier le droit à Paris, finançant ses études grâce à de petits emplois. Il découvre rapidement son goût pour la politique en tant qu’activiste étudiant à la tête du « Corpo » — le syndicat des étudiants en droit. À une époque où la politique française était dominée par la gauche, le Corpo était fermement anti-communiste et engagé dans la défense de l’empire. Dès le départ, Le Pen s’est ainsi solidement ancré à droite, nationaliste, sceptique à l’égard du culte de la Résistance et sympathisant du régime de Vichy discrédité.
Beau et séduisant, le jeune Le Pen s’est immergé dans un monde bohème de beuveries, de conquêtes féminines et de fêtes. En 1958, il fut un second dans un duel — l’un des derniers à avoir lieu en France — entre le marquis de Cuevas, un flamboyant impresario de ballet, et le danseur Serge Lifar. Avec Le Pen, la violence n’était jamais bien loin. Les réunions politiques à cette époque dégénéraient fréquemment en affrontements violents, et Jean-Marie était toujours au cœur de l’action. Lorsque Jacques Isorni, l’ancien avocat de la défense du maréchal Pétain, s’est présenté aux élections en 1951, le Corpo de Le Pen faisait partie de sa garde rapprochée, prêt à en découdre avec les opposants politiques. Le Pen n’a jamais totalement abandonné ce style de politique, même après avoir fait son entrée dans le mainstream. En 1997, lorsqu’il soutint la candidature de l’une de ses filles lors d’une élection, Le Pen, âgé de 70 ans, se jeta dans une foule de manifestants et attaqua physiquement un candidat socialiste. « Fuis, espèce de pédé roux ! » s’écria-t-il à l’encontre d’un manifestant. Dans les années 60, lorsqu’il entra en politique, Le Pen s’était forgé une image de menaces romantiques en portant un cache-œil noir. Pendant de nombreuses années, il laissa entendre qu’il avait perdu son œil lors d’une bagarre politique. La réalité plus prosaïque était qu’il avait accidentellement perdu son œil en élevant une tente pour une réunion politique. Plus tard, le cache-œil fut remplacé par un œil en verre, moins intimidant.
Au lieu de s’installer comme avocat après avoir obtenu son diplôme, Le Pen s’engagea dans l’armée pour servir en Indochine française, où son pays luttait contre une insurrection nationaliste soutenue par les communistes. Cela satisfaisait à la fois ses convictions politiques et sa prédilection pour la violence et l’aventure. Mais Le Pen arriva à Saïgon juste après la désastreuse défaite française à Dien Bien Phu, en mai 1954, qui mit effectivement fin aux espoirs français de conserver ses possessions en Asie du Sud-Est. Il retourna en France un an plus tard, amer envers ces politiciens prêts à trahir son empire bien-aimé. Il rejoignit alors Pierre Poujade et son mouvement anti-establishment, qui avait émergé comme une protestation populaire contre les impôts, mais devint rapidement une expression de mécontentements plus larges concernant la modernisation économique et le déclin national perçu.
Le Pen se révéla être un brillant campagneur et un orateur exceptionnellement doué. En janvier 1956, 53 poujadistes furent élus au parlement, parmi lesquels le jeune Jean-Marie, âgé de 25 ans. Lors d’une intervention caractéristique au parlement, il attaqua le politicien de gauche Pierre Mendes France : « Monsieur Mendes France, vous cristallisez en votre personne un certain nombre de répulsions qui sont patriotiques et presque physiques. » Mendes France, un gaulliste pendant la guerre, avait été le premier ministre qui avait mis fin à la présence française en Indochine. Pourtant, la mention par Le Pen de la répulsion « physique » fut largement interprétée comme une allusion antisémite. Il est vrai que les provocations et les insultes de ce genre constituèrent le fonds de commerce du style de Le Pen tout au long de sa carrière.
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