Le 7ᵉ arrondissement est généralement un coin tranquille de Paris : essentiellement des ambassades et des bureaux gouvernementaux. Mais dès que je suis entré dans le café, non loin de mon bureau, vers midi, le 7 janvier 2015, j’ai immédiatement compris que quelque chose n’allait pas. Les diplomates et les fonctionnaires étaient debout, criant et jurant devant la télévision, comme s’ils suivaient un match de football dans un pub. « Putain ! » s’est exclamé un homme en costume élégant accoudé au bar. « C’est une catastrophe. » Le café était en pleine agitation, jusqu’à ce qu’il soit annoncé que 12 personnes avaient été tuées. L’endroit est alors tombé dans un silence total, tous les regards rivés sur l’écran. Puis quelqu’un a pris la parole, doucement mais fermement : « C’est la guerre ! »
C’est exactement l’impression qu’on avait. Ce film granuleux et saccadé, montrant des silhouettes encagoulées armées de kalachnikovs, diffusait les images du massacre de Charlie Hebdo, à peine une demi-heure après qu’il s’était produit, et à seulement trois kilomètres de l’endroit où je me trouvais, dans ce café engourdi et brisé. Les tueurs furent rapidement identifiés : Saïd et Chérif Kouachi, tous deux nés en France et se revendiquant « soldats » d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique, le groupe ayant rapidement affirmé agir en représailles contre les caricatures satiriques du prophète Mahomet publiées par le magazine. Par une coïncidence troublante, Soumission de Michel Houellebecq, un récit dérangeant sur une prise de pouvoir islamique en France, venait d’être publié ce même jour.
Dix ans plus tard, ce jour froid de janvier est entré dans l’histoire française, un événement parmi une longue liste de massacres infâmes qui ont ravagé Paris ces dernières années. Pourtant, si la terreur d’il y a une décennie a presque été éclipsée par des horreurs encore plus grandes — les attentats de novembre 2015 ayant fait 130 morts — l’impact des meurtres de Charlie Hebdo demeure profondément présent. Au-delà de l’effusion de sang et du choc, ces événements continuent de révéler une France profondément divisée, un pays qui semble incapable d’accepter qu’il est en guerre, encore moins de décider comment faire la paix. Cela est manifeste, non seulement parmi les politiciens du pays, mais aussi dans sa presse, ceux-là mêmes qui auraient dû se tenir aux côtés de Charlie dès le départ.
Au cours de la dernière décennie, on a observé un changement remarquable s’éloignant de la dénonciation sans équivoque des meurtres de Charlie Hebdo. Dans un sondage IFOP de 2020,
réalisé alors que 14 complices des attaques étaient encore en procès, 31 % de la population française estimaient que Charlie Hebdo avait provoqué les attaques par une « provocation inutile ». Cette opinion était partagée par 69 % des musulmans français. Peut-être le plus troublant, 21 % des moins de 25 ans n’ont pas non plus condamné les tueurs.
Ce processus de déni, ou d’apaisement selon le point de vue, a commencé dès septembre 2015 — dans la presse française elle-même. Ce mois-là, le philosophe de droite Pierre Manent a publié un livre intitulé Situation de la France. Dans cet ouvrage, il affirmait que les meurtres de Charlie Hebdo révélaient non seulement la décadence morale de la France, mais aussi l’échec du laïcisme. Il proposait un nouveau « pacte » entre musulmans, chrétiens et juifs, fondé sur « l’amitié » et « la communauté ». Selon lui, cela éloignerait les radicaux potentiels des influences extrémistes et tarirait le flux d’argent provenant des fanatiques du Golfe.
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