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Qui fera tomber Michel Barnier ? Les politiciens français jouent à un jeu dangereux

Le président français Emmanuel Macron (R) et le Premier ministre français Michel Barnier se tiennent au garde-à-vous lors des commémorations marquant le 106e anniversaire de l'armistice du 11 novembre 1918, mettant fin à la Première Guerre mondiale (PGM), à Paris, le 11 novembre 2024. (Photo par Ludovic MARIN / POOL / AFP) (Photo par LUDOVIC MARIN/POOL/AFP via Getty Images)

Le président français Emmanuel Macron (R) et le Premier ministre français Michel Barnier se tiennent au garde-à-vous lors des commémorations marquant le 106e anniversaire de l'armistice du 11 novembre 1918, mettant fin à la Première Guerre mondiale (PGM), à Paris, le 11 novembre 2024. (Photo par Ludovic MARIN / POOL / AFP) (Photo par LUDOVIC MARIN/POOL/AFP via Getty Images)


novembre 29, 2024   4 mins

Lors d’une récente visite dans une usine Michelin en périphérie de Paris, le ministre des Affaires industrielles, Marc Ferracci, a été hué et insulté. Cette usine fait partie des nombreuses fermetures industrielles prévues à travers la France. À cela s’ajoutent les grèves attendues dans le secteur public et les chemins de fer. Il est encore trop tôt pour dire si la République connaîtra une crise sociale prolongée comme par le passé, mais la situation n’est clairement pas favorable.

Malgré ces graves problèmes économiques, la classe politique française semble absorbée par des stratégies et des manœuvres tactiques, toutes centrées sur les conséquences potentielles de l’effondrement du gouvernement Barnier. Il paraît de plus en plus probable que Barnier fasse passer son budget en utilisant l’Article 49:3 de la Constitution, qui permet d’adopter une législation sans vote parlementaire. La Gauche a annoncé qu’elle chercherait à faire tomber le gouvernement, tandis que l’extrême droite, dont le soutien sera crucial, a indiqué qu’elle serait disposée à voter avec la Gauche dans cette optique. Si tel est le cas, le gouvernement Barnier pourrait s’effondrer entre le 15 et le 21 décembre.

Récemment, certains ont évoqué la possibilité d’un mouvement encore plus précoce pour renverser Barnier — peut-être dès la semaine prochaine. L’opinion publique française reste divisée à ce sujet, bien qu’elle semble étonnamment favorable à l’idée d’un effondrement. Un sondage récent a révélé que juste un peu plus de la moitié des personnes interrogées soutiennent la dissolution, malgré les turbulences des élections législatives de cet été. Ce chiffre diminue légèrement lorsque la perspective d’une crise financière est abordée, mais même dans ce cas, un solide 46 % reste favorable à une action contre Barnier.

Lorsque le gouvernement Barnier a été formé, à la fin de l’été, après une longue période d’incertitude fébrile, il semblait signaler un retour du centre-droit des Républicains. Ces derniers s’étaient vu attribuer certains des postes les plus influents, tels que celui du ministre de l’Intérieur, tandis que Barnier lui-même venait de cet aile du spectre politique. La Gauche avait alors crié au scandale, se considérant comme la grande gagnante des élections législatives, tout en voyant le centre-droit revenir au pouvoir.

Cependant, il a toujours été risqué de fonder le renouveau d’un parti et d’une tradition politique sur un édifice aussi fragile que le gouvernement Barnier. Moins de six mois après sa formation, il devient évident que la dynamique fondamentale de fragmentation politique — où aucune force n’est capable de créer une majorité durable — se réaffirme. Le gouvernement Barnier n’est pas un moyen de surmonter cette fragmentation, mais plutôt une distillation de celle-ci.

Cette fragmentation n’est pas apparue soudainement. Elle était déjà évidente au début des années 2000, bien qu’elle ait été masquée par l’effet de rassemblement produit par les résultats étonnamment bons de l’extrême droite française. Le fait que ni la Gauche ni la Droite ne parviennent plus à obtenir les mêmes parts de vote qu’auparavant a été occulté par le pouvoir du cordon sanitaire : des majorités étaient construites sur la peur de laisser l’extrême droite accéder au pouvoir.

Cependant, cette résistance à l’extrême droite a progressivement diminué, exposant le centre-droit, désormais incapable de sécuriser une place au second tour de la présidentielle. Parallèlement, la Gauche s’est divisée entre le centre et l’extrême gauche. Le macronisme, pendant un temps, a fonctionné comme une large coalition centriste, capable de gouverner et semblant inverser cette tendance à la fragmentation. Toutefois, en raison de son manque de cohérence idéologique, ce n’était qu’une solution temporaire.

Aujourd’hui, avec un parti macroniste réduit, la seule chose qui maintient le gouvernement Barnier en place, ce sont les craintes de ses opposants sur ce qui pourrait se passer s’il était renversé. L’extrême gauche, dominée par la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, est déterminée à censurer le gouvernement : elle n’a jamais accepté sa légitimité en premier lieu. Bien que Mélenchon semble se réjouir de la perspective d’une fin chaotique du mandat de Barnier en tant que Premier ministre, certains à gauche se montrent plus prudents quant à la façon dont les électeurs percevraient ce coup de force parlementaire.

« Il n’y a pas de défense ou de critique de principe du gouvernement Barnier aujourd’hui en France. »

La même considération s’applique à l’extrême droite. Marine Le Pen détient incontestablement les cartes en ce moment. La Gauche ne peut faire tomber Barnier que si elle bénéficie également du soutien de l’extrême droite. Jusqu’à présent, Le Pen a évalué le gouvernement de manière pragmatique, choisissant de garder ses forces pour l’instant. Le Rassemblement National n’a pas surmonté son sentiment de trahison lors des élections législatives, quand d’autres partis se sont unis pour le maintenir hors du pouvoir. De plus, il n’a remporté aucune victoire décisive dans les débats sur les amendements au budget. Cette semaine, Marine Le Pen a déclaré qu’étant donné l’état actuel du budget, elle soutiendrait également une dissolution du gouvernement. Cependant, elle demeure prudente quant à l’idée de déclencher une crise inutile. Elle se méfie également de l’image d’une politicienne jouant aux jeux politiques de l’élite parisienne, des jeux qui semblent incompréhensibles pour sa base électorale.

Aujourd’hui, il n’existe pas de défense ou de critique de principe du gouvernement Barnier en France. Les discussions et décisions actuelles sont essentiellement tactiques. Ceux qui aspirent à la présidence en 2027 — comme l’ancien Premier ministre Gabriel Attal et l’ancien leader des Républicains Laurent Wauquiez — se demandent si la dissolution du gouvernement serait favorable ou non à leurs chances. Tous deux suivent de près les événements.

Mais malgré cette incertitude, une crise de la zone euro semble encore peu probable, compte tenu de la solidité générale de l’économie française. Toutefois, un sentiment de gouvernabilité au niveau national reste un critère clé pour la stabilité de la zone euro. En France, le budget et la trajectoire économique future sont désormais subordonnés à des calculs politiques. Le gouvernement Barnier survit pour l’instant, mais son existence est une expression de l’indécision des autres forces politiques. Et bien que la France ait un gouvernement aujourd’hui, elle reste aussi ingouvernable qu’au cours des semaines dramatiques qui ont suivi la dissolution de la législature.


Christopher Bickerton is a Professor in Modern European Politics at the University of Cambridge.

cjbickerton

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