Qui est vraiment Sir Keir Starmer? Il est assez clair que le public britannique a du mal à répondre à cette question. Si la plupart des gens a désormais probablement compris qu’il est le fils d’un outilleur, bien d’autres aspects de sa vie restent obscurs. Au premier coup d’œil, il semble être composé d’un mélange de caractéristiques contradictoires, comme s’il était tout droit sorti d’un jeu d’enfants, où les personnages sont formés en choisissant des pièces au hasard : les jambes d’un joueur de foot du dimanche un peu rustre, le torse d’un père de famille qui file chez Leroy Merlin et la tête d’un avocat à succès. Un sondage organisé le mois dernier demandait à quel animal sauvage le politicien ressemblait le plus et l’on en a conclu qu’il était à un tiers tigre, un tiers mouffette et un tiers lézard. Rendez-vous compte : même pas 100 % mammifère !
Dans le cas d’un politicien, en général on sait en partie de qui il s’agit en se basant sur ce que celui-ci dit vouloir, mais c’est bien là que les choses se compliquent. Comme l’a détaillé Jon Cruddas dans son récent livre A Century of Labour, Starmer a mené sa campagne pour la direction du Parti du Labour en 2020 en semblant incarner simultanément toutes les traditions historiquement associées au Labour, le Parti travailliste britannique : le libéralisme, le socialisme éthique, le pluralisme, le welfarisme et l’étatisme y apparaissaient tous d’une manière ou d’une autre. Depuis lors, au nez et à la barbe de certains qui avaient soutenu à contrecœur sa candidature à la direction du parti, il est revenu sur bon nombre des promesses qui étaient le plus associées aux idées socialistes. Désormais, personne ne semble plus vraiment sûr de la position qu’il adopte.
Les interprétations de ses engagements passés diffèrent aussi grandement. Peter Hitchens pense qu’il est « d’extrême gauche », à la limite du trotskysme; Jordan Peterson prédit que s’il gagne, la Grande-Bretagne sera comme « le Venezuela pendant 20 ans ». Le journal indépendant de gauche, New Internationalist, affirme que Starmer est un « blairiste au cœur froid ». Quant à l’ancien conseiller de Jeremy Corbyn (ancien chef du Parti socialiste et de l’opposition), Andrew Murray, il le qualifie avec mépris de « libéral centriste ». Enfin, avec une image particulièrement troublante, George Galloway [NdT : député de gauche à la personnalité controversée et chef du Parti des travailleurs de Grande Bretagne, dont l’on retiendra notamment qu’il était membre du Parti travailliste et qu’il en a été expulsé en 2003 en raison de sa prise de position contre la guerre en Irak] a déclaré que « Keir Starmer et Rishi Sunak sont les deux faces d’une même médaille ». Pour ce qui est de susciter des réactions diverses et variées, Starmer apparaît donc comme le Cate Blanchett de la politique britannique.
Cette semaine a apporté une nouvelle performance à étudier de près, sous la forme d’une marche et discussion filmée en compagnie de Gary Neville [NdT : ancien footballer reconverti qui a animé plusieurs épisodes de cette série avec différentes personnalités ; titre original en anglais : « walk-and-talk »]. La ballade avec Starmer s’est déroulée dans la réserve naturelle du Lake District, un lieu de vacances où se rendait la famille Starmer quand il était jeune. « Comment as-tu trouvé cet endroit ? » s’est émerveillé Neville d’un air incrédule, comme si Sir Keir Starmer avait frayé lui-même son chemin à travers une végétation dense de la jungle plutôt que de s’y rendre par l’autoroute M6 comme Monsieur tout le monde.
Mais force est de constater qu’encore une fois cependant, la vidéo n’a livré que peu d’informations, un peu comme un simple t-shirt blanc porté un jour de match. En plus de quelques promesses de programme électoral réitérées, nous avons appris que le chef du Parti travailliste place « le pays en premier et le parti à la seconde place », qu’il croit « aux actes plutôt qu’aux paroles » et qu’il veut « revenir à une politique qui soit au service du public » et vise à une « décennie de renouveau national, en réparant les fondamentaux ». Dès le « premier jour, les manches retroussées », il prévoit de « démarrer sur les chapeaux de roues ».
En fait, il s’agit ici de Starmer jouant le personnage fictif créé lors de groupes de discussion avant l’élection du leader du Parti travailliste, comme cela fut décrit dans le livre de Deborah Mattinson Beyond The Red Wall. En 2020, à la demande du groupe politique influent Labour Together [NdT : un groupe de discussion créé en 2017 pour soutenir un retour du parti travailliste au pouvoir], l’auteur a réuni d’anciens électeurs travaillistes de petites villes du Nord du pays (surnommés « Red Wallers » [NdT : en lien avec ledit « Mur rouge » ou Red Wall en anglais: il s’agit des villes du Nord qui étaient historiquement connues pour donner leur vote au parti travailliste mais qui, pour la première fois en 2019, votèrent pour le parti conservateur]) et des fervents électeurs travaillistes actuels plutôt présents dans des grandes villes plus prospères (surnommés quant à eux les « Urban Remainers » [NdT : en référence cette fois aux électeurs travaillistes majoritaires dans les grandes zones urbaines qui se sont exprimés en faveur du vote Remain pour que le Royaume-Uni reste dans l’Union Européenne au moment du Référendum sur le Brexit]). Chaque camp a été invité à créer son parti politique idéal et à en désigner les trois meilleurs leaders potentiels. Les « Red Wallers » ont désigné Sir Alan Sugar [NdT : un magnat des affaires et vedette de téléréalité de l’émission The Apprentice au Royaume-Uni], le gourou des finances sur internet Martin Lewis [NdT : un conseiller et expert financier devenu très populaire auprès du grand public] et le fondateur de Wetherspoons [une chaîne de pubs très célèbre au Royaume-Uni] Tim Martin. Vraissemblablement sans aucune crainte de paraître tomber dans les clichés, l’équipe des « Urban Remainers » a désigné Michelle Obama, Hugh Grant et le David Attenborough (écrivain, historien et présentateur de la BBC, spécialiste de biologie et d’histoire naturelle) « du temps de sa jeunesse ». Les deux équipes ont ensuite été réunies dans un « jury citoyen » pour débattre tout cela.
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