Jan van Riebeeck, commandant du poste néerlandais au Cap, s’est emporté dans une entrée de journal du 28 janvier 1654 en déclarant que les méfaits des populations autochtones étaient à peine supportables plus longtemps : ‘Peut-être serait-il préférable de payer cette bande coupable, en prenant leur bétail et leurs personnes comme esclaves enchaînés pour aller chercher du bois de chauffage et faire d’autres travaux nécessaires.’
Sous les ordres de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales de ne pas antagoniser les locaux dont elle dépendait pour le commerce, van Riebeeck se limita à planter une haie de bitter almond protectrice le long des frontières de son campement assiégé tout en continuant à négocier avec l’ennemi. Ainsi se dessina dès le début le schéma des futures relations raciales sud-africaines : un équilibre de tolérance mutuelle grincante atténué par une distance sociale et ponctué par des irruptions violentes sporadiques, des conquêtes et une soumission.
Fait remarquable, un seul ordre constitutionnel sud-africain émergea 340 ans après la haie d’amandiers de van Riebeeck grâce à l’Acte d’Union de 1910, et après encore 84 ans, en 1994, une démocratie moderne fonctionnelle. C’est celle que nous avons maintenant, un ordre imparfait et, à bien des égards, encore grincant, mais d’une manière ou d’une autre, il tient bon, d’une manière ou d’une autre, il prévaut sur une société où la race peut être le récit dominant mais l’auto-avancement économique, la passion dévorante.
Il y a effectivement eu des tentatives épisodiques de créer un système multiracial, comme l’enfranchissement qualifié des personnes de race mixte dans la colonie du Cap. Cependant, le point de vue ségrégationniste a longtemps prévalu : de sa forme impériale la plus douce sous l’administrateur célèbre Sir Theophilus Shepstone, qui créa des réserves dans la colonie du Natal pour les populations natives au milieu du 19ème siècle, à la ségrégation impitoyable des Boers, qui même trekkaient de leurs foyers dans le Cap oriental au début du 19ème siècle pour échapper à ce qu’ils considéraient comme l’égalitarisme inique des Britanniques.
Mais la politique de séparation, l’Apartheid, ne fut officiellement élaborée qu’en 1948. La race, à partir de ce moment-là, n’était pas moins omniprésente qu’elle ne l’avait été au siècle précédent ; elle était juste plus complexe. Après que la classe moyenne afrikaner renaissante, poussée par le nouveau nationalisme afrikaner, a pris le pouvoir en tant que Parti national, une alliance de classe entre les pauvres afrikaners et la population noire pauvre était hors de question. Au lieu de cela, les nationalistes afrikaners créèrent des petits États tribaux dans lesquels la population noire était censée être reconnaissante d’exercer son vote mais était toujours contrainte d’exporter sa main-d’œuvre. Le schéma échoua sur les récifs implacables de l’implausibilité économique et de la résistance passive africaine.
Plus réussie fut la manière dont le Parti national transforma l’État en un vaste moteur d’action affirmative pour la population blanche de la classe ouvrière, si réussie que trois générations plus tard, leurs descendants confiants, désormais aisés, éduqués et cosmopolites, votèrent massivement lors d’un référendum en mars 1992 pour céder le pouvoir politique à la majorité noire, l’une des rares occasions dans l’histoire où une minorité dominante cède volontairement le pouvoir à une majorité dépossédée.
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