À quelques jours seulement du premier tour des élections législatives anticipées décidées par le président Emmanuel Macron, la politique française reste plus volatile que jamais depuis les grandes manifestations de 1968. Un parlement suspendu, avec le Rassemblement National détenant le plus de sièges mais ne parvenant pas à obtenir la majorité, semble actuellement être le résultat le plus probable de ces législatives. Mais de nombreux scénarios restent possibles, y compris certains très sombres.
Pourquoi une telle agitation ? Bien que la croissance économique française soit faible depuis la pandémie, le pays n’est pas en récession, l’inflation a diminué et le chômage a baissé depuis l’arrivée de Macron au pouvoir. La France n’a pas connu d’attentat terroriste majeur ces dernières années et ne fait face à aucune crise internationale immédiate. S’agit-il simplement d’un autre exemple de mécontentement de la part d’un peuple qui, comme l’a dit l’écrivain Sylvain Tesson, ‘vit au paradis mais pense qu’il est en enfer’ ?
L’explication est plus compliquée. Une grande partie de celle-ci, bien sûr, dépasse la France elle-même et est liée à la vague mondiale de mécontentement populiste qui a d’abord culminé avec le Brexit et la victoire de Donald Trump en 2016. Dans trop de pays, de nombreux électeurs, principalement plus âgés et vivant en dehors des grandes villes, se sentent abandonnés et manquent de respect par leurs élites nationales, car ils ne se sentent pas protégés de ce qu’ils perçoivent comme un changement économique et culturel ayant la force d’un ouragan (exemplifié avant tout par la migration). Ils sont alors plus réceptifs aux leaders populistes tels que Marine Le Pen du Rassemblement National, qui promettent de recréer des époques de stabilité et de grandeur nationales passées. Les angoisses provoquées par la pandémie et la guerre, la douleur persistante de l’inflation et l’indignation intensifiée par les réseaux sociaux ont tous renforcé la tendance.
Mais une autre partie de l’explication vient de l’histoire compliquée de la France. Depuis la Révolution de 1789, la culture politique française est marquée par une méfiance démesurée envers les factions qui ont, encore et encore, paralysé le développement d’un système de partis stable. Aux États-Unis, où le système de partis est stable mais paralysé, l’extrémisme populiste ne pourrait réussir qu’en capturant l’un des deux partis dominants. En France, Macron lui-même a renversé le système faible qui prévalait pendant une grande partie de l’histoire de la Cinquième République et a ouvert une brèche dans laquelle le Rassemblement National de Le Pen menace maintenant de s’infiltrer.
La naissance de la démocratie française lors de la Révolution a été marquée par des luttes idéologiques accompagnées de violences tragiques à grande échelle. Mais cette expérience même a généré un désir désespéré de la part des gouvernements successifs de transcender les factions et de restaurer l’unité nationale. Malgré la réputation du pays pour sa passion idéologique, depuis 1789, de véritables radicaux n’ont détenu le pouvoir que pour des périodes relativement courtes, comme pendant la Terreur et Vichy. Sinon, presque tous les régimes de la France — républicains, royaux et bonapartistes — ont au moins fait semblant d’adhérer à l’idée de cohésion nationale. L’historien Pierre Serna est allé jusqu’à caractériser la politique française post-révolutionnaire comme un retour répété à ce qu’il appelle le ‘centre extrême’. Généralement, il s’agissait d’une politique centrée moins sur l’idéologie que sur la personnalité, de Napoléon et Louis-Napoléon Bonaparte à Charles de Gaulle.
Lorsque la Quatrième République s’est effondrée en 1958 au milieu des troubles de la guerre d’Algérie, la nouvelle constitution mise en place par et pour de Gaulle comprenait une présidence puissante qui, en théorie, devait se tenir à l’écart de la politique partisane et servir de point de convergence de l’unité. De Gaulle a dû admettre à contrecœur que, pour faire campagne pour la présidence et obtenir le soutien du parlement, il ne pouvait pas se passer d’un parti propre, mais ce parti a accueilli différentes tendances idéologiques et a connu de nombreuses incarnations, comme en témoignent ses changements de nom comiquement fréquents (Union pour la Nouvelle République, Union des Démocrates pour la République, Rassemblement pour la République, Union pour un Mouvement Populaire, Les Républicains).
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