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La stratégie d’Israël a-t-elle changé ? Il cible l'ensemble des structures de commandement

An Iraqi man carries a Palestinian flag as he walks past a poster of slain Hezbollah leader Hassan Nasrallah during a protest in Tahrir Square in central Baghdad to denounce the ongoing Israeli bombardment of the Gaza Strip and Lebanon, on October 11, 2024. (Photo by AHMAD AL-RUBAYE / AFP) (Photo by AHMAD AL-RUBAYE/AFP via Getty Images)

An Iraqi man carries a Palestinian flag as he walks past a poster of slain Hezbollah leader Hassan Nasrallah during a protest in Tahrir Square in central Baghdad to denounce the ongoing Israeli bombardment of the Gaza Strip and Lebanon, on October 11, 2024. (Photo by AHMAD AL-RUBAYE / AFP) (Photo by AHMAD AL-RUBAYE/AFP via Getty Images)


octobre 15, 2024   6 mins

Largement ignoré au milieu du drame, du risque et de la controverse de sa réaction à l’attaque du 7 octobre, c’est qu’au cours de l’année passée, Israël a expérimenté un nouveau type de guerre : cibler l’ensemble des structures de commandement de ses ennemis. L’assassinat tactique occasionnel est aussi ancien que le temps, bien sûr, et à l’ère moderne, il a été couramment pratiqué non seulement par le Mossad mais aussi par les États-Unis, la Russie et l’Inde, parmi de nombreux autres gouvernements.

Ce qui est nouveau dans la méthode israélienne récente, cependant, c’est qu’elle ne s’arrête pas à une ou deux figures importantes. Au contraire, ils s’en sont pris à des dirigeants, des planificateurs, des stratèges, des figures de proue et des acteurs clés, avec l’objectif évident de ne pas seulement ralentir l’adversaire mais de l’amoindrir, idéalement au-delà de toute réparation, et de retourner la population contre eux en démontrant à quel point ces dirigeants nuisent à leur qualité de vie.

Il est trop tôt pour dire si cela deviendra une tactique clé dans l’arsenal d’Israël, si cela s’avérera efficace à long terme, et quelles réponses cela pourrait susciter de la part de leurs ennemis. Pourtant, ce sur quoi nous pouvons spéculer est ceci : une stratégie qui met l’accent sur les décideurs ennemis pourrait-elle être une bonne nouvelle pour les civils ?

L’objectif des bombardements lors de nombreux conflits précédents, notamment la Seconde Guerre mondiale, était de démoraliser la population par la famine et la destruction. En 2003, par ailleurs, l’objectif du bombardement américain à Bagdad était de terrifier la population irakienne dans un état de ‘choc et d’émerveillement’. L’objectif israélien actuel, du moins en théorie, est d’éliminer les personnes et l’infrastructure de leurs ennemis jurés. C’est une différence significative, et cela pourrait potentiellement marquer une époque.

La répartition injuste des coûts de la guerre a été l’une de ses caractéristiques éternelles. Les guerres sont déclarées par des dirigeants, planifiées par des généraux, menées par des fantassins souvent réticents et endurées dans la misère par la population en général. Pour le dire autrement, ce sont toujours des gens ordinaires, les conscrits sur les lignes de front et la masse de civils derrière, qui supportent le poids de toute guerre, et cela n’a pas changé. Selon la Croix-Rouge, 90 % des victimes en temps de guerre restent des civils.

En théorie, ces pertes civiles sont des dommages ‘collatéraux’, des conséquences non intentionnelles et regrettables des combats entre combattants armés. Mais les preuves montrent que la plupart des actions létales contre les civils sont soit délibérées, soit représentent une conséquence qui était connue à l’avance et jugée acceptable. On ne bombarde pas une ville comme Dresde sans réaliser que l’on va enterrer des femmes, des enfants et des personnes âgées sous les décombres, avec environ 30 000 personnes périssant en février 1945. 7 500 civils sont morts lors du bombardement initial de Bagdad par les États-Unis, et des milliers d’autres ont été traumatisés et mutilés.

Et si 2003 s’était déroulé différemment ? Et si, au lieu d’envahir le pays, les Américains avaient simplement tué Saddam et ses cercles intérieurs dans une frappe ciblée ? Il n’y aurait peut-être pas eu d’insurrection, pas de massacre sectaire, pas de triomphe iranien éventuel. Ou, pour revenir à la Seconde Guerre mondiale, que se serait-il passé si les Alliés avaient chargé Oppenheimer de concentrer son génie scientifique sur le développement de missiles au lieu de bombes atomiques, avec l’objectif de détruire Hitler et ses conseillers dans le Nid de l’Aigle ? Que, pour le dire franchement, s’ils avaient ciblé Hirohito au lieu d’Hiroshima ? Cela n’aurait-il pas sacrifié une vie pour des milliers d’autres ?

Ce n’est guère une nouvelle question. J’ai grandi avec. Ma grand-mère, cynique après une vie de projets militaires catastrophiques qui l’ont vue survivre à la chute de l’Empire austro-hongrois, à la perte de deux guerres mondiales et à l’occupation soviétique de son pays, accueillait perpétuellement les conflits mondiaux avec le commentaire que ‘les gros bonnets avec leurs grandes idées devraient se battre directement’ et laisser les civils en dehors de cela. Mais, pour citer à contrecœur Steve Bannon, c’était un rêve pipe, car ‘les aristos ne se battent jamais’.

‘Les gros bonnets avec leurs grandes idées devraient se battre directement’

Et en fait, au cours des dernières décennies, des dictateurs psychopathes non seulement ont échappé à la punition, mais ont été autorisés à vivre confortablement en exil à l’étranger. C’est ce qui est arrivé à Baby Doc Duvalier, l’ancien despote haïtien, ou à Jean-Bédel Bokassa de la République centrafricaine, qui se sont tous deux retrouvés à mener la grande vie en France. Alfredo Stroessner du Paraguay, protecteur de Josef Mengele et tueur d’opposants politiques, a été accueilli par le Brésil. La théorie derrière cette approche douce était qu’un dictateur acculé se battrait jusqu’à la mort, prolongeant ainsi l’effusion de sang. Offrez-lui une issue attrayante, et plus de massacres pourraient être évités.

Au fil du temps, cependant, cette solution est devenue moins acceptable pour l’opinion publique mondiale, annonçant notre ère actuelle de sanctions et de mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale. L’approche semblait pertinente sur le papier, mais en vérité, la CPI manque de véritable pouvoir et a rarement prouvé son efficacité, que ce soit comme moyen de dissuasion ou comme instrument de justice. Demandez simplement à Vladimir Poutine.

L’approche israélienne, donc, représente un recadrage bien plus impressionnant de la question de la responsabilité. Comme nous l’avons découvert, la guerre suppose toujours une culpabilité collective. Mais les civils méritent-ils vraiment plus de punition pour les décisions de leurs dirigeants que ces derniers eux-mêmes ? ‘Ils ont suivi’, pourrions-nous dire. Et c’est vrai. Trop souvent, en effet, des dirigeants fanatiques peuvent compter sur l’enthousiasme hystérique des masses. ‘Ils les ont élus’, soulignons-nous, et cela s’applique parfois aussi.

Pourtant, les populations civiles sont généralement motivées par peu plus que la chance de prospérer. La plupart des gens, de plus, ne sont pas des héros de la résistance. Les électeurs américains n’ont pas choisi un président en sachant qu’il deviendrait obsédé par des ADM inexistantes en Irak. En résumé, les décisions fatidiques sont prises au sommet. Que fait une entreprise lorsqu’elle est en difficulté ? Licencie-t-elle tout le personnel ou remplace-t-elle le PDG ? N’est-il pas alors à la fois plus juste et, pourrait-on dire, plus efficace de s’en prendre aux dirigeants ?

Une objection plus forte vient des politologues. Bien qu’ils s’accordent généralement à dire que ‘décapiter’ un ennemi en éliminant son leader est psychologiquement efficace, ils soutiennent que l’impact ne dure que jusqu’à l’émergence d’un successeur, et tout ce que vous avez peut-être accompli en fin de compte, c’est d’avoir créé un martyr. Ce qui est différent maintenant, c’est qu’Israël semble viser bien au-delà de la simple psychologie, et travaille plutôt à désactiver les structures de commandement plus larges de ses ennemis. Il s’est concentré sur la perturbation des canaux de communication de l’ennemi, ainsi que sur l’empêchement de nouveaux dirigeants de prendre le relais. Juste un jour après avoir tué Hassan Nasrallah, l’IDF a également ciblé son successeur au Hezbollah.

De là, la liste continue. Ali Karaki (le conseiller de longue date de Nasrallah) ; Eid Hassan Nashar (le commandant de la force de roquettes à moyenne portée du Hezbollah) ; Samir Tawfiq Dib (le commandant de son front sud) ; Nabil Kaouk (vice-président de son conseil central) ; tous ces individus, et bien d’autres, ont été tués lors des frappes israéliennes. L’IDF n’a pas non plus négligé son principal ennemi idéologique : l’Iran. L’assassinat du leader du Hamas, Ismael Haniyeh, alors qu’il séjournait dans une maison d’hôtes militaire officielle à Téhéran, en est un excellent exemple. La mort suspecte de l’ancien président iranien Raisi dans un accident d’hélicoptère pourrait ou non avoir été un accident — mais présente de toute façon des similitudes frappantes avec les actions israéliennes ailleurs.

Pour être clair, je n’ignore pas le nombre épouvantable de victimes civiles à Gaza, ni l’impact sur le Liban. Nous ne savons pas encore comment d’autres acteurs pourraient réagir à ce nouveau style de guerre émergent. L’attaque récente de Mossad par pager est un exemple remarquable d’espionnage, détachant les adversaires de leur environnement. Elle a extrait les membres du Hezbollah de la foule, bien que de manière imparfaite. Mais l’armement similaire d’objets quotidiens pourrait également être déployé par les ennemis de l’Occident, avec des conséquences évidemment imprévisibles.

Jusqu’à présent, cependant, notre évaluation doit être : avantage tactique pour Israël. Même après avoir pris le temps d’y réfléchir, l’Iran n’a pas été en mesure de réagir de manière innovante aux attaques israéliennes, lançant plutôt son habituel spectacle de missiles vers des défenses israéliennes établies.

Si, alors, nous voulons être optimistes : il y a une chance que l’accent mis par Israël sur la recherche des ‘cerveaux derrière les opérations’ puisse amener les dirigeants à réfléchir à deux fois avant d’envoyer leurs laquais mourir. Et sinon, cela pourrait au moins créer un fossé salutaire entre les idéologues violents et la population en général, alors que cette dernière reconnaît qu’elle se porte mieux sans eux. En fait, cela pourrait déjà se produire au Liban, où la critique du Hezbollah commence à être exprimée par des politiciens et le grand public. Le message de Netanyahu selon lequel le peuple libanais n’est pas l’ennemi devra, à la lumière des dommages qu’il subit, être amplifié par des offres concrètes de coopération et de soutien.


Cheryl Benard is an academic and an author.

 


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