Nous assistons à un effondrement de l’ordre public avec peu de parallèles évidents dans l’histoire récente de la Grande-Bretagne. Il y a eu des moments de ressemblance, bien sûr : les émeutes de Londres en 2011 ou la « terreur skinhead » du début des années 70. Les affrontements entre les chemises noires d’Oswald Mosley et les coalitions d’antifascistes dans les années 30. Pourtant, aucune de ces comparaisons ne semble tout à fait juste. Ce que nous voyons ici est quelque chose à la fois plus moderne et effrayant.
Une comparaison plus appropriée, je pense, est la période de défaillance de l’État qui a marqué la période tumultueuse de la vie britannique entre l’imposition de la règle directe en Irlande du Nord en 1972 [NDT : L’administration de l’Irlande du Nord par le gouvernement du Royaume-Uni] et la grève des mineurs de 1984. C’était un moment où l’État semblait perdre l’autorité de gouverner, et sa volonté de le faire, alors que la guerre au Moyen-Orient entraînait une récession, des troubles politiques, un repli international et enfin une confrontation industrielle. Les syndicats sont d’abord entrés dans une guerre à mort avec James Callaghan puis avec Margaret Thatcher.
Trop souvent, on comprend la direction de Thatcher comme une bataille pour limiter l’État, plutôt que ce qu’elle était vraiment : une bataille pour réaffirmer la suprématie de l’État. Dans les années précédant sa victoire en 1979, l’État britannique avait à plusieurs reprises échoué à imposer sa volonté, des grèves qui ont fait chuter Ted Heath en 1973-74 au sauvetage du FMI en 1976 et à l’Hiver du Mécontentement en 1978-79. Malgré tous les revirements et l’incohérence du bilan réel de Thatcher en tant que Premier ministre, la source de son succès politique était d’être prête à payer un prix plus élevé que ce que quiconque pensait possible pour imposer à nouveau l’autorité de l’État britannique à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
C’est la réalité politique à laquelle Starmer est confronté aujourd’hui. Dans ces moments-là, le rôle du Premier ministre est de faire le Léviathan ; d’imposer l’ordre pour que la civilité puisse revenir. L’État doit réaffirmer son autorité et, surtout, sa primauté. Les petites troupes c’est bien, mais pas lorsqu’elles sont armées.
Pendant la récession du début des années 80, Thatcher a redoublé d’efforts avec son programme d’austérité, même si cela a entraîné un chômage à des niveaux que l’on aurait précédemment considérés comme moralement inacceptables. En 1982, elle est entrée en guerre pour un ensemble de « petites îles habitées par trois moutons », les Malouines, comme François Mitterrand les a décrites, non pas parce qu’elles offraient un avantage réel à la Grande-Bretagne mais en vertu du principe qu’elles étaient britanniques. Et puis, en 1984, elle a utilisé tous les moyens en sa possession — formels ou pas — pour briser le pouvoir des mineurs et mener la guerre à l’Armée Républicaine Irlandaise après qu’elle a tenté de l’assassiner ainsi que tout son cabinet ; l’attaque la plus sérieuse contre l’État britannique depuis 1945.
Comme le souligne David Edgerton dans son récit global de la Grande-Bretagne d’après-guerre, L’Ascension et la Chute de la Nation Britannique, « la différence clé dans la politique des années 80 par rapport à ce qui précédait était la volonté du gouvernement de combattre très durement les contestataires et d’exercer très fortement les droits de l’autorité élue ». Ce qui a distingué Thatcher comme quelque chose de différent, déclare Edgerton, était sa volonté de persévérer « face à l’opprobre » et ce faisant, transformer la confiance en soi des élites britanniques. « Dans les années 70, a émergé l’idée que le Royaume-Uni devenait ingouvernable », écrit Edgerton. « La réponse était, bien sûr, ‘revenir en arrière sur l’État’, en termes rhétoriques, mais cela impliquait également de rendre l’État plus autonome, plus puissant. »
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