Alors qu’il entrait dans Notre-Dame de Paris, pour Dominique Venner, 78 ans, le moment était venu de mourir. Il marchait avec détermination ; chaque pas le rapprochait de sa fin. Il savait qu’il n’y avait pas de retour en arrière. ‘Une mort réussie est l’un des actes les plus importants de la vie de quelqu’un’, avait-il écrit des années auparavant.
Venner s’est arrêté devant l’autel. Une grande croix dorée se dressait au-dessus de lui, brillant dans la lumière de l’après-midi. Venner s’est mis à genoux. Il a sorti une enveloppe de la poche de sa veste, l’a posée sur l’autel. Puis, discrètement, il a sorti un pistolet. Il n’y avait qu’une seule balle dedans; c’était tout ce dont il avait besoin.
Venner a ouvert la bouche, il y a glissé le pistolet. Le métal était froid contre sa langue. Avec un grand calme, Venner a posé son doigt sur la gâchette et a appuyé. Une détonation a suivi. Du sang a éclaboussé l’autel. Nous étions le 21 mai 2013.
Il ne s’agissait pas d’un suicide ordinaire. Venner était un intellectuel d’extrême droite français qui se considérait comme un samouraï. Son suicide était inspiré de celui de Yukio Mishima, l’auteur nationaliste japonais qui s’est suicidé par seppuku en 1970 à la suite d’un coup d’État raté. Il avait toujours voulu mettre fin à sa vie de la même manière, et s’est suicidé pour envoyer un message à ses compatriotes français. Il a choisi Notre-Dame pour le faire, a-t-il dit à ses amis, car c’était ‘le lieu le plus symbolique pour un appel au peuple’.
Des heures après la mort de Venner, sa lettre de suicide a été rendue publique. ‘Au soir de ma vie, face aux immenses dangers pour ma patrie française et européenne, je ressens le devoir d’agir tant qu’il m’en reste la force’, a écrit Venner. ‘Je me donne à la mort pour éveiller des consciences endormies. Je me rebelle contre le destin. Je proteste contre les poisons de l’âme et les désirs d’individus envahissants de détruire les ancrages de notre identité, y compris la famille, base intime de notre civilisation multimillénaire. Alors que je défends l’identité de tous les peuples chez eux, je me rebelle aussi contre le crime du remplacement de notre peuple.’
Plus d’une décennie après son suicide, Venner continue de planer sur la politique française. Dimanche dernier, le Rassemblement National, le parti de Marine Le Pen, a remporté une victoire éclatante au premier tour des élections législatives. Le parti est maintenant aux portes du pouvoir. Cela aurait été impossible sans l’influence de Venner, qui a théorisé la stratégie politique — souvent appelée ‘dédiabolisation‘ — ayant normalisé l’extrême droite française.
Renaud Dély, un journaliste français qui a écrit une biographie captivante de Venner, a déclaré que ‘Marine Le Pen est l’héritière du projet idéologique et de la méthode de Dominique Venner’. Le Pen a d’ailleurs rendu hommage à Venner après son suicide en 2013. ‘Tout notre respect à Dominique Venner,’ a-t-elle posté sur X, ‘dont le dernier acte, éminemment politique, aura été de tenter de réveiller le peuple de France.’ Selon Dély, Le Pen a également envoyé un émissaire aux funérailles de Venner, qui aurait dit aux personnes présentes que sa patronne était là ‘par la pensée’.
Pour comprendre l’héritage de Venner, nous devons d’abord connaître ses origines. Venner est né en 1935 dans une famille aisée. Son père était un architecte qui a construit des églises, ainsi qu’un membre du Parti Populaire Français, un parti pro-nazi qui a été dissous après la Seconde Guerre mondiale.
En 1954, à l’âge de 19 ans, Venner s’est porté volontaire pour servir dans la guerre d’Algérie. À l’époque, le pays n’était pas simplement une colonie française — c’était un département français. Mais les Algériens voulaient leur indépendance. C’était le pire cauchemar de Venner. ‘En Algérie, nous nous battons pour nous-mêmes, pour notre dignité, et pour conserver notre propriété, une terre acquise par le droit de conquête, de sang et de sueur,’ a-t-il déclaré à l’époque. ‘Nous nous battons pour notre race !’ Et Venner s’est battu avec acharnement. Par la traque de nationalistes algériens, il s’est révélé être un soldat impitoyable, voire sadique. Ses supérieurs ont estimé que sa conduite allait trop loin : Venner était trop imprudent et mettait d’autres soldats en danger.
Après deux ans en Algérie, Venner est rentré en France métropolitaine bouillonnant de rage. Les autorités militaires étaient trop complaisantes. À ses yeux, elles manquaient du courage de faire ce qui était nécessaire pour maintenir l’Algérie française. De plus, comme il l’avait appris, c’étaient les politiciens à Paris qui tiraient les ficelles. Si Venner voulait faire la différence, ce devait être par le militantisme politique. Et ainsi Venner est entré dans l’underground d’extrême droite. Il est devenu membre de Jeune Nation, un groupe nationaliste, et a rapidement participé à des attaques violentes. Ses cibles : les partisans de l’indépendance algérienne, les communistes, les socialistes, les bourgeois, les minorités.
À l’apogée de la guerre d’Algérie, en 1958, Charles de Gaulle est revenu au pouvoir et a fondé la Cinquième République. Venner le considérait comme l’ennemi. En 1940, de Gaulle s’était opposé à Vichy. Et maintenant, croyait Venner, il était sur le point de trahir l’Algérie française. ‘Le général de Gaulle préfère les métèques [terme péjoratif pour les personnes non-blanches] à ses officiers,’ a-t-il écrit.
Venner a ensuite rejoint l’OAS, un groupe nationaliste qui s’opposait à l’indépendance algérienne et organisait des attaques terroristes. En 1961, à l’âge de 26 ans, il a été arrêté pour sa participation à un coup d’État militaire raté contre de Gaulle. La sentence : 18 mois derrière les barreaux.
Dans le silence de sa cellule de prison, comme l’explique Dély dans son livre, Venner a eu une prise de conscience qui allait changer le cours de la politique française. Avec le recul, cela semble évident. Mais, à l’époque, cela représentait un changement de paradigme. L’extrême droite ne serait plus jamais la même.
Sa prise de conscience était que l’extrême droite ne pourrait jamais accéder au pouvoir par l’insurrection. Au lieu de cela, si elle espérait gouverner un jour, elle devait gagner dans les urnes. Dans les démocraties modernes, la violence n’était pas seulement inefficace — les coups d’État, comme Venner l’avait appris de première main, pouvaient facilement échouer — mais elle éloignait aussi les gens ordinaires. L’OAS n’avait pas réussi à maintenir l’Algérie entre les mains françaises ou même à promouvoir la cause de l’Algérie française. ‘Le terrorisme indiscriminé est le meilleur moyen de vous couper de la population’, a écrit Venner. ‘C’est un acte désespéré.’
L’extrême droite, Venner croyait maintenant, devait abandonner la violence si elle désirait sérieusement un jour mettre en œuvre son projet violent. S’inspirant de Lénine, il arguait que la révolution était ‘moins une question de prise de pouvoir que d’utilisation de celui-ci pour construire une nouvelle société’. Pour ce faire, le mouvement devait développer une idéologie cohérente et créer une organisation pour diffuser cette idéologie dans la société.
Mais — et c’est la partie la plus importante — l’extrême droite ne pouvait pas être transparente quant à son idéologie. La raison : les gens ordinaires étaient conditionnés. ‘À travers une propagande permanente à sens unique, à laquelle tout le monde est soumis depuis l’enfance’, écrivait Venner, ‘le régime, sous ses multiples formes, empoisonne le peuple français.’ L’extrême droite devait déjouer le régime. ‘Une lutte révolutionnaire, un combat à mort contre un adversaire tout-puissant, rusé, expérimenté, doit être mené avec des idées et de la ruse plutôt qu’avec la force.’
Par conséquent, il était nécessaire pour l’extrême droite de cacher sa véritable nature. Les gens n’étaient pas prêts pour cela. Au lieu de cela, sans abandonner ses principes fondamentaux, elle devrait adapter son apparence. Dans la formule concise de Dély, l’extrême droite devrait ‘savoir comment changer son apparence pour mieux rassurer et séduire’.
‘Il était nécessaire pour l’extrême droite de cacher sa véritable nature. Les gens n’étaient pas prêts pour cela.’
Venner réfléchissait à cette stratégie depuis un certain temps. En 1959, lorsqu’il a fondé le Parti Nationaliste, un groupe violent qui serait bientôt dissous, Venner a dit aux nouveaux recrues qu’ils devaient faire attention à ce qu’ils disaient en public. ‘Ne discutez jamais de sujets qui pourraient choquer les nouveaux venus par la manière dont vous les présentez’, les avait-il avertis. ‘Par exemple, le problème des métèques ne doit jamais être abordé dans une présentation ou une conversation avec les perspectives du crématoire ou du porte-savon.’ En d’autres termes, ne dites jamais que vous voulez finalement exterminer tous les métèques. Quand on est fasciste, on peut embrasser qui on est, mais on ne peut jamais l’affirmer publiquement.
Peu de temps après sa sortie de prison en 1962, Venner publia son pamphlet. Pour une critique positive est devenu un manuel de développement de soi pour des générations d’activistes d’extrême droite français, pour qui Venner est ce qu’ils ont de plus proche d’un Antonio Gramsci. Avec son texte audacieux et iconoclaste, il a posé les bases idéologiques pour que le Rassemblement National devienne le parti le plus populaire en France. Et il a été un pionnier de la stratégie de dédiabolisation qui a été au cœur de la carrière politique de Marine Le Pen.
Depuis des années, les commentateurs s’émerveillent de la façon dont Le Pen a détoxifié le parti qu’elle a hérité de son père, Jean-Marie, un négationniste de l’Holocauste condamné. En 2015, elle l’a même expulsé du parti pour avoir tenu des propos antisémites. Depuis lors, Le Pen a travaillé dur pour adoucir sa rhétorique. Par exemple, elle n’utilise plus le terme chargé de ‘Grand Remplacement’ ; elle parle plutôt ‘d’immigration de masse’. Et contrairement à son ancien rival Eric Zemmour, elle ne se limite pas à parler de la menace de ‘l’extrémisme islamique’, elle passe beaucoup de temps à discuter de questions économiques.
Le Pen a également cultivé une nouvelle génération de dirigeants d’extrême droite qui ne lèvent pas la voix et ne s’éloignent pas du script. Avec leurs costumes sur mesure, ils ressemblent à des politiciens respectables. Jordan Bardella, le président de 28 ans du Rassemblement National, est le prototype. Pressenti pour devenir Premier ministre si le parti gagne ce dimanche, Bardella est le visage de la dédiabolisation. Il sourit tellement que son visage est figé dans un rictus. Il n’est pas surprenant que son rédacteur en chef, Pierre-Romain Thionnet, soit un adepte de Venner.
Mais ce serait une erreur de supposer que Le Pen et Bardella sont les premiers à mettre la dédiabolisation en action. L’utilisation de cette stratégie remonte à la campagne présidentielle du candidat d’extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965. Avocat de l’OAS, sa candidature a marqué un tournant pour le camp nationaliste : pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, ils cherchaient le pouvoir dans les urnes. Cela, en soi, était un acte de dédiabolisation. Vignancour a été conseillé par — devinez qui — Venner. Et son directeur de campagne n’était autre que Jean-Marie Le Pen.
Vignancour n’a remporté que 5 % des voix, mais une graine avait été plantée. Elle a fleuri en 1972 lorsque le Front National a été fondé. Le parti était l’idée de François Duprat, un autre activiste d’extrême droite qui a été influencé par Venner. Jean-Marie Le Pen a été choisi pour le diriger car il était considéré comme un modéré d’extrême droite. Cela peut être difficile à croire aujourd’hui, mais, en son temps, Le Pen a lui aussi contribué à la dédiabolisation. Orateur charismatique, il a contribué à populariser les idées d’extrême droite dans la société française. En l’espace de 30 ans, il a uni le mouvement et l’a amené au second tour des élections présidentielles en 2002.
Ce n’était pas un accident. Une note du Front National de 1985 montre que la dédiabolisation est inscrite dans l’ADN du parti. Elle dit : ‘Nous sommes entourés de forces hostiles… En public, nous ne devons évoquer que ce que notre propagande révèle sur la pointe de l’iceberg… Nous ne pouvons pas imposer aux masses extérieures n’importe quelles idées. Nous devons toujours partir d’un substrat mental préexistant et l’associer à nos propres idées clés.’ Venner n’aurait pas pu mieux le formuler. Et Marine Le Pen n’aurait pas pu mieux le mettre en œuvre.
Au cours de la dernière décennie, Le Pen a non seulement abandonné son père mais aussi ses positions les plus extrêmes. Finis les appels au Frexit. Même ces dernières semaines, chaque fois que son programme a été examiné de près, le Rassemblement National a modéré ses politiques ou repoussé leur mise en œuvre éventuelle. Par exemple, l’interdiction du voile porté par les femmes musulmanes ne se produirait qu’en 2027 au plus tôt. L’objectif final est évident : apaiser les craintes et séduire les électeurs modérés.
Pourtant, malgré l’adoucissement du Rassemblement National, il serait imprudent d’oublier l’influence de Venner sur le mouvement. C’était un homme prêt à se sacrifier pour sa mission — un homme qui comprenait le pouvoir du long terme.
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