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La fin du culte de la personnalité de Macron En politique française, le charisme précède l'idéologie

TOPSHOT - French President Emmanuel Macron looks on as he visits Chanel's Metiers d'Art workshops at le 19M, the building which houses around 600 artisans, in Paris, on January 20, 2022. (Photo by CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP) (Photo by CHRISTIAN HARTMANN/POOL/AFP via Getty Images)

TOPSHOT - French President Emmanuel Macron looks on as he visits Chanel's Metiers d'Art workshops at le 19M, the building which houses around 600 artisans, in Paris, on January 20, 2022. (Photo by CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP) (Photo by CHRISTIAN HARTMANN/POOL/AFP via Getty Images)


juin 28, 2024   7 mins

À quelques jours seulement du premier tour des élections législatives anticipées décidées par le président Emmanuel Macron, la politique française reste plus volatile que jamais depuis les grandes manifestations de 1968. Un parlement suspendu, avec le Rassemblement National détenant le plus de sièges mais ne parvenant pas à obtenir la majorité, semble actuellement être le résultat le plus probable de ces législatives. Mais de nombreux scénarios restent possibles, y compris certains très sombres.

Pourquoi une telle agitation ? Bien que la croissance économique française soit faible depuis la pandémie, le pays n’est pas en récession, l’inflation a diminué et le chômage a baissé depuis l’arrivée de Macron au pouvoir. La France n’a pas connu d’attentat terroriste majeur ces dernières années et ne fait face à aucune crise internationale immédiate. S’agit-il simplement d’un autre exemple de mécontentement de la part d’un peuple qui, comme l’a dit l’écrivain Sylvain Tesson, ‘vit au paradis mais pense qu’il est en enfer’ ?

L’explication est plus compliquée. Une grande partie de celle-ci, bien sûr, dépasse la France elle-même et est liée à la vague mondiale de mécontentement populiste qui a d’abord culminé avec le Brexit et la victoire de Donald Trump en 2016. Dans trop de pays, de nombreux électeurs, principalement plus âgés et vivant en dehors des grandes villes, se sentent abandonnés et manquent de respect par leurs élites nationales, car ils ne se sentent pas protégés de ce qu’ils perçoivent comme un changement économique et culturel ayant la force d’un ouragan (exemplifié avant tout par la migration). Ils sont alors plus réceptifs aux leaders populistes tels que Marine Le Pen du Rassemblement National, qui promettent de recréer des époques de stabilité et de grandeur nationales passées. Les angoisses provoquées par la pandémie et la guerre, la douleur persistante de l’inflation et l’indignation intensifiée par les réseaux sociaux ont tous renforcé la tendance.

Mais une autre partie de l’explication vient de l’histoire compliquée de la France. Depuis la Révolution de 1789, la culture politique française est marquée par une méfiance démesurée envers les factions qui ont, encore et encore, paralysé le développement d’un système de partis stable. Aux États-Unis, où le système de partis est stable mais paralysé, l’extrémisme populiste ne pourrait réussir qu’en capturant l’un des deux partis dominants. En France, Macron lui-même a renversé le système faible qui prévalait pendant une grande partie de l’histoire de la Cinquième République et a ouvert une brèche dans laquelle le Rassemblement National de Le Pen menace maintenant de s’infiltrer.

La naissance de la démocratie française lors de la Révolution a été marquée par des luttes idéologiques accompagnées de violences tragiques à grande échelle. Mais cette expérience même a généré un désir désespéré de la part des gouvernements successifs de transcender les factions et de restaurer l’unité nationale. Malgré la réputation du pays pour sa passion idéologique, depuis 1789, de véritables radicaux n’ont détenu le pouvoir que pour des périodes relativement courtes, comme pendant la Terreur et Vichy. Sinon, presque tous les régimes de la France — républicains, royaux et bonapartistes — ont au moins fait semblant d’adhérer à l’idée de cohésion nationale. L’historien Pierre Serna est allé jusqu’à caractériser la politique française post-révolutionnaire comme un retour répété à ce qu’il appelle le ‘centre extrême’. Généralement, il s’agissait d’une politique centrée moins sur l’idéologie que sur la personnalité, de Napoléon et Louis-Napoléon Bonaparte à Charles de Gaulle.

Lorsque la Quatrième République s’est effondrée en 1958 au milieu des troubles de la guerre d’Algérie, la nouvelle constitution mise en place par et pour de Gaulle comprenait une présidence puissante qui, en théorie, devait se tenir à l’écart de la politique partisane et servir de point de convergence de l’unité. De Gaulle a dû admettre à contrecœur que, pour faire campagne pour la présidence et obtenir le soutien du parlement, il ne pouvait pas se passer d’un parti propre, mais ce parti a accueilli différentes tendances idéologiques et a connu de nombreuses incarnations, comme en témoignent ses changements de nom comiquement fréquents (Union pour la Nouvelle République, Union des Démocrates pour la République, Rassemblement pour la République, Union pour un Mouvement Populaire, Les Républicains).

Au fil du temps, les gaullistes se sont regroupés en un mouvement de centre-droit relativement stable, pas très différent de leurs homologues à travers l’Europe tels que les Démocrates-Chrétiens de l’Allemagne de l’Ouest. Pendant ce temps, un adversaire idéologique relativement stable a semblé prendre forme dans les années 70 après que François Mitterrand ait forgé un ensemble de groupes de gauche en un nouveau Parti Socialiste. (Les socialistes français avaient auparavant rejeté l’étiquette de parti, préférant s’appeler la Section Française de l’Internationale Ouvrière.) En 1981, l’élection de Mitterrand à la présidence a été saluée comme la preuve que la Cinquième République était enfin devenue une démocratie occidentale ordinaire, avec une alternance régulière entre les partis de gauche et de droite. La domination des gaullistes et des socialistes était particulièrement prononcée au niveau local, où chacun avait construit de puissantes organisations.

À l’échelle nationale, cependant, le système de partis est resté relativement faible, les gaullistes et les socialistes étant divisés en ‘courants’ concurrents, avec une constellation en changement constant de petits partis à leurs talons. En théorie, le système électoral à deux tours de la Cinquième République aurait dû aider les grands partis, car ils avaient la plus grande force pour l’emporter au second tour, décisif, des votes présidentiels et parlementaires. En pratique, le premier tour est devenu une série d’opportunités répétées de protestation, où les électeurs mécontents votaient avec leur cœur plutôt qu’avec leur tête, apportant un soutien inattendu aux extrémistes, notamment, en particulier, au père de Le Pen, Jean-Marie. Déjà lors de l’élection présidentielle de 1988, le père Le Pen avait réussi à obtenir plus de 14 % au premier tour, à seulement deux points derrière un ancien Premier ministre centriste respecté. Quatorze ans plus tard, il a choqué le monde politique en devançant un socialiste et en remportant une place au second tour contre le gaulliste Jacques Chirac (il a connu un échec massif au second tour).

Au cours de ce siècle, le système partisan s’est affaibli pour plusieurs raisons. Pour commencer, une réforme constitutionnelle bien intentionnée a fixé les mandats présidentiel et parlementaire à cinq ans (le mandat présidentiel était auparavant de sept ans), afin de réduire la possibilité de ‘cohabitation’, c’est-à-dire d’un gouvernement partagé entre l’exécutif et le législatif. Cette réforme a réussi à atteindre cet objectif, mais au prix de transformer de plus en plus les majorités parlementaires en majorités personnelles, liées au président en exercice plutôt qu’à un parti. Pendant ce temps, Marine Le Pen a pris la tête du parti alors appelé le Front National de son père et a lancé une campagne concertée pour le ‘dédiaboliser’, notamment en prétendant renoncer à son antisémitisme notoire et en cultivant activement le soutien juif. (Cette année, le chasseur de nazis Serge Klarsfeld a annoncé qu’il votera pour le Rassemblement National.) Ses scores électoraux ont régulièrement augmenté, et lors des deux dernières élections présidentielles, elle est arrivée au second tour contre Macron, obtenant un impressionnant 41 % en 2022. Elle a également été aidée par l’émergence d’un parti encore plus extrême et encore plus à droite, Reconquête, lui permettant de jouer le rôle de parti modéré. Aux élections législatives de 2022, le Front National a obtenu le plus grand nombre de députés de tout parti d’extrême droite depuis la fin du XIXe siècle.

Mais le plus grand coup porté au système partisan est venu avec la présidence désastreuse du socialiste François Hollande et l’ascension de son successeur, Macron. Au départ, la victoire de Hollande face au néo-gaulliste Nicolas Sarkozy en 2012 semblait être une autre ‘alternance’ réussie. Mais Hollande a rapidement été confronté à une série de calamités : un scandale personnel embarrassant lié à sa liaison avec une actrice ; une série d’attaques terroristes islamistes mortelles ; la crise de la dette européenne en cours ; et des manifestations de grande ampleur contre ses réformes du travail et des retraites proposées. À la fin de 2016, un sondage plaçait son taux d’approbation à un humiliant 4 %.

L’élection présidentielle qui a eu lieu un an plus tard a largement contribué à faire exploser le système. L’ancien ministre de l’Économie ambitieux de Hollande, Macron, a refusé de se présenter comme socialiste ou néo-gaulliste, et a plutôt créé son propre parti politique centriste. Il s’agissait d’un véhicule entièrement personnel — ce n’est pas une coïncidence que son nom initial, En Marche, avait les mêmes initiales que le candidat. Au milieu des décombres de la présidence Hollande, Macron a réussi à dépasser à la fois le néo-gaulliste François Fillon et le socialiste Benoît Hamon, qui n’a obtenu que 6 %, en grande partie grâce à la concurrence du populiste de gauche Jean-Luc Mélenchon qui a fondé un autre nouveau parti, La France insoumise. Au second tour, Macron a battu Marine Le Pen haut la main. Et ensuite, lors des élections législatives qui ont suivi immédiatement, son parti (maintenant appelé La République en Marche) a remporté une majorité convaincante.

Depuis l’élection de Macron, la politique française est de nouveau largement une affaire de personnalité plutôt que d’idéologie. Les socialistes et les républicains néo-gaullistes sont en mauvaise posture, les premiers luttant pour obtenir le soutien du parti de Mélenchon, les seconds essayant désespérément d’endiguer la fuite de leurs soutiens vers Le Pen. Les socialistes ont même dû vendre leur siège parisien. Macron lui-même, malgré son bilan économique objectivement raisonnable, a aliéné les électeurs de tous bords avec son attitude remarquablement distante et arrogante. La colère a particulièrement éclaté au printemps 2023 lorsque, faute d’une majorité parlementaire pour faire adopter une réforme des retraites très impopulaire, il a eu recours à un décret constitutionnel (l’article 49.3). Son taux d’approbation, bien qu’il ne soit pas encore aussi bas que celui de Hollande, se situe désormais à seulement 24 %. Lors des récentes élections européennes, la liste du Rassemblement National, dirigée par le charismatique protégé de 28 ans de Marine Le Pen, Jordan Bardella, est devenue l’instrument choisi par les Français pour exprimer leur désapprobation envers Macron. Les républicains sont maintenant divisés, une partie d’entre eux étant prête à s’intégrer à un gouvernement du Rassemblement National.

Le Rassemblement National peut-il traduire la montée de la contestation en une majorité parlementaire ? Ces derniers jours, le parti de Macron (maintenant appelé Renaissance) a quelque peu rebondi dans les sondages, tandis que les différents partis de gauche se sont regroupés en un Nouveau Front Populaire dans l’espoir de bloquer l’extrême droite. Mais la situation reste extrêmement incertaine…

Un parlement suspendu pourrait en fait être un résultat pire qu’une victoire du Rassemblement National. Macron, en prenant le risque de dissoudre le parlement, pensait clairement qu’en amenant l’extrême droite au gouvernement, où il pourrait la contrôler avec ses pouvoirs présidentiels et lui attribuer la responsabilité de tout ce qui tourne mal, il pourrait aider à empêcher Le Pen d’accéder à la présidence en 2027 (Macron lui-même ne peut pas se représenter en raison d’une limite constitutionnelle de mandat). Mais si aucun groupe n’obtient la majorité aux législatives et que le propre parti de Macron finit par être balayé, la pression le poussant à démissionner, forçant une nouvelle élection présidentielle, pourrait devenir irrésistible. Pour l’instant, Macron a déclaré qu’il resterait en fonction jusqu’en 2027, ‘quoi qu’il arrive’. Mais pourra-t-il tenir cette promesse ? Sinon, la longue quête de l’unité nationale de la France et du ‘centre extrême’ pourrait vaciller, et un gouvernement de l’extrême droite pourrait arriver au pouvoir plus tôt que prévu.


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