Nous vivions autrefois, sans le savoir, de l’autre côté du gouffre numérique. Je me souviens de la première fois où j’ai entendu le mot « Internet » : lors d’une randonnée dans les bois de Ness en Irlande du Nord. Mon père, autodidacte et insatiablement curieux, nous a parlé d’une invention qui allait se répandre « comme une fusée à travers le monde, changeant tout ». L’une des exigences du rôle de parent est d’être non seulement un roc mais aussi un punching-ball alors que votre enfant teste ses limites et pousse sa chance. Ma sœur et moi, deux mini harpies, avons immédiatement commencé à le taquiner au sujet de ses prédictions de voyance, qu’il a supportées en levant stoïquement comme à son habitude les yeux au ciel.
Que nous étions stupides.
Bien que la génération X ait été la dernière des humains analogues, nous avons grandi avec des ordinateurs. Mais l’internet était vaste, en expansion constante, et allait impacter chaque aspect de la vie. C’était, pour mon jeune esprit, un « ecumenopolis », une cité mondiale colossale, incandescente de possibilités. Ma première visite dans un cybercafé a été époustouflante, bien que construit à la va-vite comme l’était ce genre de d’endroit à l’époque. Habitué depuis longtemps à voir des proches partir pour Boston et au-delà et disparaître, il était étonnant de pouvoir communiquer en temps réel, avec facilité et à peu de frais, avec des inconnus habitant de l’autre côté de la Terre.
C’était une force enivrante. Mais le délire ravageur ne pouvait durer.
Internet devait causer une rupture encore plus profonde que l’imprimerie, les vols habités ou l’électrification de masse. Et pourtant, j’ai le sentiment que la véritable division n’est pas avant et après internet ; mais plutôt avant et après sa transformation d’un cosmos au potentiel en expansion perpétuelle en sa contraction dans le village global où nous sommes maintenant piégés. Un univers expansionniste s’effondrant en néo-féodalisme. Voici l’histoire de comment le marché dévore tout, y compris nos rêves les plus fous — et cela se produit à cause de jeux de langage auxquels nous ne pouvons résister.
‘C’était une force enivrante. Mais le délire ravageur ne pouvait durer.’Autrefois, les charlatans profitaient des superstitions, lisaient des présages dans les comètes ou vendaient des os. Avec l’avènement de la science moderne sont venus les alchimistes promettant des élixirs de jeunesse ou la transmutation du plomb en or. La Révolution Industrielle a donné naissance à toutes sortes d’escrocs vantant des remèdes mécaniques et médicaux miracles. Les « Oscilloclastes » guérissaient soi-disant de n’importe quel mal par ondes radio. L’élixir de Daffy pouvait tout soulager, des vapeurs à l’adénopathie. Le Coca-Cola suffisait à dissiper l’addiction à la morphine. Certains innovateurs croyaient en leurs produits, même lorsque les conséquences étaient sérieuses — les sirops calmants qui plongeaient les bébés victoriens dans un sommeil permanent ou les cures revitalisantes au radium qui faisaient s’effondrer les mâchoires. Les spectacles de médecine sont considérés comme l’apogée de cette tendance : des foires ambulantes de charlatans qui soulageaient les habitants de leur argent et de leur naïveté. Puis ils ont disparu, absorbés dans l’entité pan-globale impie de la publicité du XXIe siècle.
Il est difficile d’accepter, en observant les pécheurs et les dupes du passé depuis les hauteurs vertigineuses du progrès, que nous résidons dans l’âge d’or du charlatanisme. Nous aimons penser que nous avons une vision plus nette du commerce — mais les objets sont le moindre de nos soucis. Aujourd’hui, le problème n’est plus la vente de produits douteux.
Les entreprises d’aujourd’hui traitent désormais en biens immatériels : les modes de vie, les philosophies, les régimes, l’image de soi et l’ambition sont tous devenus des actifs commercialisables. Elles nous promettent des raccourcis vers le statut, essentiels dans une ère de labeur précaire, ainsi que des solutions rapides à nos innombrables déficits économiques, politiques et spirituels. Elles vendent l’arnaque — ou plutôt la perspective d’y échapper. Elles nous sont livrées non plus par les médias démodés que sont les panneaux d’affichage et la télévision, mais directement injectées dans les réseaux sociaux, transmises via des algorithmes reposant sur nos goûts et nos lacunes.
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