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La bataille pour la ville de cowboys de Cornouailles La péninsule oubliée de la Grande-Bretagne est à court d'espoir

Cornish fishermen have been feeding the hungry. (Credit: Hugh Hastings/Getty)

Cornish fishermen have been feeding the hungry. (Credit: Hugh Hastings/Getty)


juin 20, 2024   8 mins

La péninsule oubliée de la Grande-Bretagne est toujours ignorée. La première question lors des élections de la circonscription de St Ives [NDT Ville balnéaire de la Cornouailles] concerne l’installation d’un bureau de poste mobile à Godolphin Cross. Je me doutais que ce serait le cas. Nous sommes assis dans une église méthodiste à Helston, sous un panneau : Ne sois pas consterné car je suis ton Dieu. Il y a Derek Thomas, le député conservateur depuis 2015 (majorité de 4 280 voix), qui a la sympathie naïve d’un présentateur de télévision pour enfants. Il y a Andrew George, l’ancien député et membre des Liberal Democrats, qui va probablement gagner cette fois-ci. Il a tendance à se pavaner et est l’objet d’un petit culte de la personnalité : une femme à Newlyn affiche un poster des Lib Dems à sa fenêtre toute l’année, et l’orange est décoloré en blanc. Il y a un candidat Vert àl’air flegmatique, un candidat apeuré de l’Ukip [NDT Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni], qui frémit lorsque le micro lui est passé, et ne dit rien, et deux candidats indépendants, dont l’un ressemble à un sorcier. Les travaillistes ne sont pas venus : la petite CLP [NDT : Organisation de membres du parti travailliste] concentre ses efforts sur Camborne et Redruth, où ils pourraient gagner, ce qui renforce le sentiment que le drame de cette élection générale se déroule ailleurs. 

Le bureau de poste mobile, donc : tout le monde est d’accord pour dire qu’il est terrible que l’offre soit réduite à un jour par semaine à Godolphin Cross. Je vis dans l’ouest de la Cornouailles pendant sept ans et je sais que la question ne reflète pas la petitesse de la fierté cornique – les Phéniciens sont venus ici pour l’étain quand Londres était de la boue – mais, je pense, la petitesse de l’espoir cornique. L’ouest de la Cornouailles est beau, isolé et pauvre. C’est un réservoir pour des fantasmes concurrents, c’est la beauté du paysage qui fait ça. C’est une péninsule qui donne l’impression d’être une île, ses églises ressemblent à des sanctuaires païens. La noblesse locale est influente, la classe ouvrière est conservatrice – le château de la série House of the Dragon surplombe la baie de Mount, après tout – et, en raison des îles Scilly, cette circonscription se déclare souvent en dernier pour les élections, ce qui témoigne d’une vérité spirituelle, ainsi que logistique. Parce que nous sommes toujours en retard pour le décompte des voix. Il fait soleil la moitié de l’année, et il pleut l’autre moitié de l’année, c’est réglé comme une horloge. 

Les élections se prolongent : un homme pose une longue question sur les fosses septiques, en tenant une liasse de notes, au cas où il oublierait ce qui le met en colère. Tout le monde est poli, car l’ouest de la Cornouailles est un village. Si Andrew George [NDT : ancien membre du Parlement du Royaume-Uni] a permis à sa fille de vivre dans un appartement financé par les contribuables lorsqu’il était au Parlement la dernière fois, le conservateur ne le dit pas, bien que tout le monde le sache. Si le scandale des fêtes du Parti a été un désastre, le Lib Dem ne le dit pas non plus, bien que tout le monde le sache. Lorsque je rencontre John Harris, l’homme qui ressemble à un sorcier – il est du Common People Party, et il veut un revenu de base universel et des villes souterraines, avec un monde sauvage au-dessus – il fait l’éloge des candidats traditionnels. Il dit que la Cornouailles est comme un voyage dans le temps et que cela se passe essentiellement en 1974 – d’où la courtoisie – dans une circonscription tournée vers la mer. « Il n’y a rien d’autre après », dit-il. « Vous remontez dans la préhistoire autant que vous le souhaitez. » 

Les vrais problèmes – la pauvreté, le logement et les bas salaires – sont à peine discutés aujourd’hui. On entend à peine, par exemple, que l’hébergement d’urgence pourrait être une caravane aux murs couverts de moisissure ; que l’occupant pourrait être hospitalisé pour un problème pulmonaire, et que le propriétaire pourrait dire que c’est de la faute de l’occupant de ne pas nettoyer suffisamment. On entend à peine que les gens se disputent la location de biens en disant au propriétaire qu’ils sont les pauvres méritants, ou que les femmes qui Font quelques heures de ménage pendant les heures d’école attendent sous la pluie un bus qui ne vient jamais. Pas en hiver, en tout cas : les bus touristiques d’été fonctionnent toujours. 

‘Les vrais problèmes – la pauvreté, le logement et les bas salaires – sont à peine discutés aujourd’hui.’ 

La campagne des Lib Dems est la plus énergique, mais elle est atténuée, car c’est l’ouest de la Cornouailles. Il n’y a pas de folie orange, la couleur du parti, comme on trouve dans les circonscriptions oscillant entre les Tories et les Lib Dems plus à l’est. Pourtant, il y a de vastes panneaux orange sur les bas-côtés, et le candidat apparaît sur les ponts avec de petits groupes de partisans et pose pour des photographies sur la plage de Newlyn. Il est trop connu pour être exaltant, et les gens se souviennent que sa fille est restée dans son appartement. Les pêcheurs en parlent particulièrement, mais les pêcheurs sont des Tories, qui passent maintenant au parti Reform [NDT : l’ancien parti du Brexit]. 

Le lancement de la campagne des Tories a lieu dans un hôtel près de Prussia Cove. Deux supervoitures sont garées dehors : elles ont l’air étrange ici, un appel à l’aide. Les Tories vieillissent et sont habillés comme des agriculteurs le dimanche, bien qu’il y ait deux jeunes hommes. Ils mangent des pasties [NDT : une sorte de tourte typique de la région] et se plaignent du gouvernement de Londres, ce qui est courant : de nombreux Cornouaillais se comportent comme si les impôts allaient à Westminster par erreur. Ils ne sont pas bougons, mais déçus. Sunak est venu ici il y a deux semaines, a acheté un sandwich au bacon à la gare, a rencontré des cheminots, et est parti vers l’est. 

« Cette semaine a été très difficile », déclare le président du Parti. « Un couple m’a dit, « le père de mon mari était au débarquement, il était sur les plages [NDT de Normandie], et il a toujours voté conservateur. Il ne pourrait plus jamais voter conservateur après ce qui s’est passé ». Presque tout le monde avec qui j’ai parlé [était d’accord]. » À ce stade, on dirait que Rishi [Sunak] a abandonné, » dit l’un des jeunes conservateurs. Un autre dit : « C’est tellement injuste. Nous avions une majorité de 80 sièges, et nous l’avons gaspillée en flattant les personnes âgées et en buvant comme des étudiants. De la complaisance à l’état pur. Nous aurions pu construire un million de maisons. Harold Macmillan [NDT ancien Premier ministre du Royaume-Uni] l’a fait. » Une femme me dit : « Malgré leur bilan désastreux d’inaction, je vote toujours conservateur car c’est le seul parti qui a défendu la réalité du sexe biologique. Très faiblement. » La personne suivante dit : « Je vote pour Derek car c’est un travailleur acharné. Je ne suis pas un grand fan de Rishi. Je pense qu’il s’est comporté de manière épouvantable, honnêtement. » En quoi ? « Je pense qu’il a poignardé Boris dans le dos. » Je demande à un dernier homme : pourquoi votez-vous conservateur ? « Parce que je vote toujours conservateur, » répond-il, surpris que je pose la question. « Je ne voterais pour personne d’autre. » 

Bill Johnson, un pêcheur de la flotte côtière à Mousehole, me dit que 75 % des pêcheurs locaux ont voté pour le Brexit « sur la promesse que les choses s’amélioreraient. Aucun d’entre eux ne pense que les choses se sont améliorées. Elles ont plutôt empiré. » La limite de six milles n’est pas encore matérialisée, et la réglementation excessive et la bureaucratie sont monnaie courante : on oblige les pêcheurs âgés à utiliser des applications en mer, ce qui les déconcerte. J’ai vu un pêcheur sur le quai à Newlyn l’automne dernier, des papiers tombant de ses poches. Il avait l’air consterné. « Les pêcheurs, » dit Johnson, « ont été des pions de l’opportunisme politique. » Il se souvient du jour où la flottille du Brexit est passée à Mousehole : il était sur le quai. Mais les pêcheurs, estime-t-il, ne voteront pas travailliste (« ce sont des socialistes des villes ») ici. Les syndicats n’ont jamais eu prise. Pour lui, les Libéraux-Démocrates, « sont comme un écho dans une pièce vide ». Il vote toujours conservateur — il ressent une loyauté personnelle envers Thomas — mais d’autres sont tentés par Reform, qui « prononcent les mots justes sur l’immigration ». 

Nous nous promenons dans Mousehole, et il me montre quelles maisons sont habitées à plein temps : c’est plus rapide ainsi. Le centre-ville est un St Ives miniature : 87 % de locations de vacances et de résidences secondaires désormais. Le taux de participation le jour des élections sera faible. Privés d’accès au logement, les jeunes vivent avec leurs parents, ou dans des abris de jardin, ou quittent le comté, espérant revenir avec de l’argent de Londres. Le travail dans le tourisme est saisonnier et mal payé. Six bateaux de pêche partent de Mousehole : dans vingt ans, Johnson pense qu’il n’y en aura plus. Malgré tout, c’est tellement animé en été que le bus ne peut pas passer : une fois, dans une métaphore épouvantable, j’ai vu un camion Ocado [NDT de livraison de supermarché] garé à l’arrêt de bus, comme s’il s’agissait du bus. Aujourd’hui, il y a une réplique d’un navire du Xe siècle sur la plage. Ça sent la poix. Il est venu de Bretagne, a navigué jusqu’à Mousehole, et est échoué sur la plage jusqu’à ce que la marée soit assez haute pour l’emporter. Ses marins — des reconstituteurs médiévaux — vendent des biens rustiques courants à des prix exorbitants sur le sable, et cela correspond à l’esthétique actuelle de Mousehole : un pastiche affreux. 

Lynne Dyer nourrit des habitants du coin depuis la cuisine en dessous de son bureau Growing Links depuis 2014. Les hommes dans les tentes sur la promenade, et dans les bois près de la rivière Coombe, et près de l’étang à bateaux, viennent ici chaque soir pour le dîner, ou ils marchent depuis Mousehole, et leurs tentes sur la falaise. Habillés pour l’alpinisme dans une ville, les plus pénibles à voir sont les jeunes, avec leur courtoisie insistante. Elle nourrit des personnes qui vivent dans un logement temporaire — des hôtels bon marché ou ces caravanes repoussantes et moisies — où ils n’ont pas le droit de cuisiner, ainsi que des familles et des travailleurs mal payés. 

Le système n’est pas cassé, me dit Dyer. C’est pire que ça. Plutôt : « Il n’existe pas. C’est comme une putain de ville de cow-boys. De la santé mentale au sans-abrisme en passant par le problème du logement et la crise énergétique. Pas d’argent, pas de nourriture, des changements dans les allocations universelles. Oh mon Dieu, je pourrais poursuivre à l’infini. » 

« On nourrissait chaque semaine plus de mille personnes qui ne pouvaient pas se permettre de manger pendant la pandémie », dit-elle : les pêcheurs vendaient du maquereau directement depuis des caisses devant leurs portes. « Des familles qui mouraient de faim ; des médecins qui nous adressent des personnes qui souffrent de malnutrition ; des mamans qui nourrissent leurs enfants mais ne se nourrissent pas elles-mêmes. Je n’ai jamais vu M. Thomas de ma vie. Andrew George a été bénévole pendant cinq ans. » 

Ce matin, dit-elle, elle est rentrée du Pays de Galles en voiture. « Et j’ai vu beaucoup de fleurs sur la promenade et puis je suis arrivée au travail et il y a des fleurs dehors et j’ai juste pensé, « merde, qui est mort ? » Elle se met à pleurer. « C’est un jeune homme qui s’est suicidé devant The Lugger. Il était constamment sans-abri et toxicomane. » 

« C’est ce que les Conservateurs ont fait, » dit-elle. « Ils ont tué ce jeune homme en supprimant les services familiaux, en supprimant les services sociaux. Tout ce qui était préventif nous a été enlevé. Ce sont les vies des jeunes qui passent à travers les mailles du filet. Et ils grandissent et s’anesthésient avec des drogues et de l’alcool et, » — sa voix devient monocorde— « tout le monde les déteste. C’est ce que les Tories ont fait. Je les tiens responsables de chaque jeune qui a fait une overdose ou s’est suicidé pendant ce règne de terreur sur les gens. » Elle est impatiente qu’ils partent. Elle compte les jours. Elle pense que « Starmer pourrait être un bon socialiste. Je veux qu’il gagne. Je voterai pour les Libéraux-Démocrates pour avoir un siège de moins pour les Tories : pour que le Parti travailliste entre. » 

Je marche jusqu’au mémorial du garçon sur le front de mer : le mur en face de The Lugger est orné de fleurs et de ballons. Ils luttent contre le vent. C’est la marée basse un de ces jours de juin où l’eau scintille avec la promesse d’un été éternel pour un enfant. Lorsque la marée est basse, on peut voir les arbres pétrifiés de l’ancienne grande forêt de la baie de Mount. Encore une fois, et comme toujours, une Cornouailles en cache une autre. 

 


Tanya Gold is a freelance journalist.

TanyaGold1

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