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Marine Le Pen est-elle la victime d’une guerre juridique ?

La députée du Rassemblement National (RN) d'extrême droite, Marine Le Pen (L), se rend au palais de justice de Paris lors d'un procès pour suspicion de détournement de fonds publics européens, à Paris le 28 octobre 2024. (Photo par Bertrand GUAY / AFP) (Photo par BERTRAND GUAY/AFP via Getty Images)

novembre 15, 2024 - 2:00pm

Une tendance inquiétante émerge à travers l’Europe de l’Ouest. Les conventions et règles essentielles au bon fonctionnement d’une démocratie sont de plus en plus contournées, un phénomène qui érode progressivement la confiance des citoyens dans leurs gouvernements.

Les Européens ont été récemment confrontés à cette tendance, lorsqu’un procureur français a requis une peine de prison et une interdiction d’activités politiques à l’encontre de Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National (RN). Actuellement jugée aux côtés de 24 autres personnes pour détournement de fonds européens, Le Pen est largement perçue comme une candidate de poids pour l’élection présidentielle française de 2027. Toutefois, si elle est reconnue coupable, elle ne pourra pas se présenter.

Marine Le Pen est accusée d’avoir employé des assistants pour des postes au Parlement européen, alors qu’ils auraient en réalité exercé des fonctions politiques pour le RN. Le préjudice économique serait estimé à environ 3 millions d’euros, dont le parti a déjà restitué 1 million, tout en précisant que cela ne doit pas être interprété comme une reconnaissance d’actes répréhensibles.

Un traitement similaire est réservé aux partis et politiciens de droite à travers le continent. En Autriche, cela a conduit à la suspension d’une règle informelle de 80 ans, selon laquelle le parti arrivant en tête des élections est autorisé à former un gouvernement, après la victoire du Parti de la Liberté de droite le mois dernier. Parallèlement, en Allemagne, un débat a été relancé relancé sur l’interdiction de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) avant les élections fédérales de février. En d’autres termes : l’exclusion du deuxième parti le plus populaire du pays du processus politique.

Tout cela est de mauvais augure pour l’avenir de la démocratie en Europe. En effet, un système qui tente d’interdire plutôt que d’engager un véritable débat sur les préoccupations soulevées par les partis populistes en pleine ascension est voué à l’échec. Après tout, ce ne sont pas les personnalités charismatiques, comme Alice Weidel de l’AfD ou Marine Le Pen du RN, qui expliquent la popularité de leurs partis. Au contraire, ces derniers grimpent dans les sondages parce qu’ils ont osé aborder des sujets que les partis traditionnels ont évités pendant des décennies : la migration, le déclin culturel et la stagnation économique.

En Allemagne et en France, nous assistons à des tentatives parallèles de maintenir les challengers les plus populaires hors du jeu, mais il existe un risque important que ces manœuvres se retournent contre leurs auteurs. Le politicien de l’Union chrétienne-démocrate allemande (CDU), Marco Wanderwitz veut soumettre une loi interdisant l’AfD avant Noël, espérant qu’elle puisse être adoptée avant les élections fédérales, prévues pour début 2025.

Bien que la probabilité d’adoption de cette loi soit faible, l’affaire ne s’arrête pas là. Le chef de l’Office pour la protection de la Constitution (l’équivalent allemand du MI5), Thomas Haldenwang, a été démis de ses fonctions et se prépare à briguer un siège au parlement en tant que membre de la CDU de Wanderwitz. Celui qui avait la responsabilité de qualifier l’AfD de parti « d’extrême droite » — et qui aurait dû être un fonctionnaire impartial — semble poursuivre un agenda politique, une accusation que l’AfD a faite depuis des mois. Initialement, Haldenwang n’envisageait même pas de quitter son poste, mais la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, a décidé de le libérer de ses fonctions après avoir découvert ses ambitions politiques.

Les enjeux sont désastreux, comme l’a même reconnu  la ZDF, un diffuseur public de gauche. Haldenwang devait publier une évaluation de l’AfD avant la fin de l’année, ce qui pourrait être perçu comme une manœuvre d’un membre de la CDU visant à influencer la décision sur la légitimité électorale de son principal rival. Sans surprise, l’AfD s’empare déjà de cet épisode comme thème de campagne, persuadée qu’il pourrait lui être favorable.  

Ces enjeux ne sont pas isolés et rappellent le procès en cours du Rassemblement National (RN) en France. Même s’il peut y avoir des bases légales solides, il est difficile d’éviter l’impression d’une tentative manifeste pour empêcher Marine Le Pen d’accéder à la présidence. La corruption est un sujet grave, mais interdire la politicienne la plus populaire de France à cause de paiements douteux aux assistants parlementaires ne diminuera probablement pas son attrait. Au contraire, cela pourrait même renforcer sa position. Après tout, les affaires judiciaires visant Donald Trump ont galvanisé sa base électorale au point de le rendre quasi invincible lors des primaires républicaines — et aujourd’hui, il est Président élu.

Les dirigeants européens doivent faire preuve d’une grande prudence pour ne pas attiser un mécontentement similaire parmi leurs électeurs. Il existe un sentiment croissant que les forces établies tentent de biaiser le jeu politique. Si cette impression est continuellement renforcée, à un moment donné, les gens feront sentir leur colère.


Ralph Schoellhammer is assistant professor of International Relations at Webster University, Vienna.

Raphfel

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