C'est un long chemin depuis 1789. Bertrand Guay/AFP via Getty Images.

Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen n’ont jamais été amis. Dès 2012, le radical provocateur a comparé son adversaire de droite à un « rat métamorphe » — et les choses ne se sont pas vraiment améliorées depuis. Cependant, la politique française est en train de changer, et Mélenchon avec elle. Avec Marine Le Pen reconnue coupable de détournement de fonds et interdite de se présenter à la présidence lors des élections de 2027, la République est en plein tremblement de terre politique. Pourtant, si la décapitation électorale du Rassemblement National a suscité une colère prévisible à droite, l’extrême gauche montre également les dents.
Immédiatement après la condamnation de Le Pen, le parti de Mélenchon, La France Insoumise, a déclaré qu’il n’utiliserait jamais les tribunaux pour vaincre ses adversaires. Comme l’a lui-même déclaré Mélenchon sur X : « La décision de destituer un homme politique doit être prise par le peuple. » C’est une déclaration révélatrice, qui explique en grande partie son soutien à une femme qu’il avait autrefois qualifiée de « semi-démentielle ». Car s’il est un populiste comme son rival de droite, Mélenchon est aussi un fondamentaliste en ce qui concerne cette idée politique française la plus chérie : que le peuple, le peuple, représente la volonté collective du pays, au-dessus des juges ou de l’État.
C’est un thème que Mélenchon aborde dans son dernier livre. Publié en anglais aujourd’hui, Maintenant, le peuple ! Révolution au XXIe siècle est un hymne au pouvoir du peuple, emmenant ses lecteurs des premières sociétés humaines à la France fracturée et anxieuse du XXIe siècle. Pas, bien sûr, que le peuple soit simplement là pour admirer. Au contraire, Mélenchon croit que le farrago de Le Pen est un « moment historique pour la France » et que son traitement pourrait être « l’étincelle » qui allume la révolution pacifique qu’il pense que le pays a besoin. Il a peut-être raison sur la révolution — mais risque d’être déçu par le chemin que son peuple bien-aimé finira par prendre.
L’usage politique moderne de le peuple remonte à la Révolution. Trois ans après la prise de la Bastille, en 1792, la Première République a été proclamée, introduisant une nouvelle constitution et conférant le pouvoir souverain aux citoyens de France. Depuis lors, chaque itération de la République a toujours fait référence à « le peuple » comme les véritables dirigeants de la nation, clair partout, de la peinture de Delacroix au chœur entraînant de la « Marseillaise ».
Mélenchon se voit clairement dans cette tradition. En dehors de ses récentes déclarations, il se décrit toujours comme un « Républicain » et non un simple « Gauchiste », se comparant fréquemment à Jean Jaurès, le légendaire fondateur du mouvement socialiste français contemporain. Pourtant, si les invocations de la souveraineté populaire sont courantes dans la politique française — même des centristes hautains comme Emmanuel Macron adoptent l’idée — Mélenchon soutient que la Révolution française n’est pas allée assez loin. La vraie liberté, suggère-t-il, ne peut être trouvée que dans la révolution permanente, la mise à jour et le bouleversement constants des réalités politiques dictés par des conditions matérielles en perpétuel changement.
Comme on pourrait s’y attendre d’un soi-disant philosophe politique français, Maintenant, le peuple ! est une œuvre longue, décousue et compliquée. Allant de l’économie et de la mondialisation au changement climatique et à l’intelligence artificielle, l’auteur espère influencer rien de moins que l’avenir de l’humanité. Le livre commence par un appel aux armes, un appel à une véritable révolution citoyenne — par laquelle Mélenchon entend un changement politique dirigé par un peuple qui comprend enfin à quel point il est réellement opprimé.
C’est un rêve familier, bien que légèrement désuet, comme si « Imagine » de John Lennon avait réapparu comme une praxis politique. Certes, cela s’inscrit confortablement dans le style établi de Mélenchon en tant que figure médiatique, sans parler de ses traits de hibou, de son penchant pour les vestes Nehru et de son éveil politique dans le ferment trotskyste et maoïste de la France des années soixante.
Cependant, Mélenchon est aussi un vieux dur et n’est pas un nostalgique paresseux. Il fait référence à une variété éclectique de penseurs du passé, non seulement des marxistes et d’autres ennemis du capitalisme, mais aussi au théologien jésuite et paléontologue Teilhard de Chardin. En cours de route, il appelle à une nouvelle République, la Sixième, avec une nouvelle constitution adaptée aux besoins du XXIe siècle. En pratique, cela signifie remplacer l’universalisme unique de la Révolution de 1789 par une forme de liberté plus inclusive et dispersée que celle trouvée dans la rubrique « Liberté, Égalité, Fraternité » — désormais rejetée par de nombreux gauchistes modernes comme une forme désuète de « démocratie totalitaire » européenne et inadaptée à l’ère postcoloniale.
Pour justifier ces affirmations, Mélenchon cite trois exemples récents de troubles civils au cours des dernières années. Ce sont les révoltes des Gilets Jaunes ; l’agitation autour des réformes des retraites ; et les émeutes de l’été 2023 provoquées par la fusillade policière de Nahel Merzouk, un jeune de 17 ans d’origine marocaine-algérienne. Merzouk a été ciblé, affirme Mélenchon, précisément parce qu’il faisait partie d’une minorité que la République ne reconnaît pas. Pour Mélenchon, donc, l’affaire Merzouk n’était pas simplement un exemple de violence policière débridée, mais plutôt une démonstration des limites de l’universalité républicaine.
Cependant, si son ambition théorique est impressionnante, la compréhension de la France contemporaine par Mélenchon est nettement insuffisante. Le fait est que ses études de cas ne peuvent pas facilement être intégrées dans un seul fil de mécontentement. L’insurrection des Gilets Jaunes était un cri de colère provenant de ce que l’on appelle souvent « la France périphérique » — les villes et villages abandonnés et ignorés, loin des centres métropolitains bien nantis. Les mini-émeutes autour des réformes des retraites étaient une simple manifestation de frustration face aux politiques économiques de Macron et à son attitude autocratique hautaine. Pour leur part, les troubles de 2023 étaient un mélange de nihilisme juvénile assaisonné d’un fort anti-républicanisme. Ces adolescents dans les banlieues ne veulent pas d’une nouvelle République, ils veulent juste détruire le statu quo, ce qui est clair lorsqu’ils ciblent les bureaux de poste, les écoles, les bibliothèques et tout autre bâtiment portant l’imprimatur de l’État français.
Au-delà de tout, il est difficile de ne pas remarquer la bizarre contradiction que des gauchistes autoproclamés comme Mélenchon devraient plaider en faveur des émeutiers, dont beaucoup méprisent activement le modèle républicain de gauche. Si, de plus, le diagnostic de Mélenchon est douteux, son remède l’est aussi. Vers la fin du livre, et faisant écho aux théories de philosophes comme Gilles Deleuze, il défend ce qu’il appelle la « créolisation » — comme un moyen de relier les aspirations universalistes de la Première République à la réalité multiculturelle kaléidoscopique de la France contemporaine.
Pour être clair, la « créolisation » n’est pas le multiculturalisme, anathème pour de nombreux gauchistes français. Ce n’est pas non plus l’assimilation ou l’intégration à l’américaine. Au contraire, elle envisage la création d’une nouvelle société hybride, où la culture des « opprimés » crée une nouvelle culture nationale mêlant traditions françaises et non françaises. Sont donc écartés les vivaces de la laïcité d’État et de la centralisation, remplacés par « l’universalité concrète » de la différence. Cela implique inévitablement une refonte totale de chaque institution de la République, des écoles et universités aux forces armées. Cela, soutient Mélenchon, est la seule solution aux divisions et conflits qui frappent actuellement le pays, des émeutes de banlieue à la montée de l’extrême droite. Comme conclut Mélenchon avec enthousiasme, cette nouvelle France sera « l’avenir d’une humanité qui s’élève vers de nouveaux sommets ».
Comment expliquer ces idées, si radicales dans leur opposition au cadre de 1789 ? En un sens, elles sont le point final logique d’une culture politique obsédée par le peuple — surtout lorsque ces principes universalistes se heurtent à la réalité de la République moderne.
La France, après tout, est un endroit où les anciennes divisions de classe ne s’appliquent plus, et où environ un dixième des gens sont des immigrants. Étant donné ces inévitabilités démographiques, Mélenchon soutiendrait probablement qu’il met simplement à jour la vision de la société de gauche. Mais ce faisant, avec toutes les pirouettes intellectuelles haut de gamme exigées par la « créolisation », l’auteur risque de perdre le contact avec le peuple qu’il chérit tant. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que des militants de tout le spectre politique sont horrifiés par ses idées. Il a été attaqué sans surprise par la droite, qui le voit comme un courtisan d’un agenda islamiste, mais aussi par des éléments de gauche, qui considèrent sa vision du pouvoir populaire comme non seulement « anti-française » mais aussi comme une véritable trahison des valeurs laïques des Lumières sur lesquelles la France est fondée.
Le public français ordinaire, et pas seulement les personnes blanches, a principalement réagi avec horreur aux théories de Mélenchon, les voyant comme l’extinction de l’identité française au nom d’une expérience politique non éprouvée. Certains ont même comparé la « créolisation » de Mélenchon au roman de Michel Houellebecq de 2015, Soumission, dans lequel le romancier imagine la France se transformant progressivement en un État islamique, tandis que des rumeurs circulent en ligne selon lesquelles le politicien espère faire de l’arabe une langue officielle du pays.
Cette dernière affirmation n’est pas fondée — mais il est également vrai que Mélenchon est né et a grandi à Tanger, et plaisante encore en disant que les premiers slogans politiques qu’il a jamais appris étaient des cris en arabe pour l’indépendance marocaine. Il est difficile de penser à une vantardise plus susceptible d’antagoniser la minorité qui pleure encore la perte de l’empire colonial français, sans parler des millions de personnes qui craignent la montée de l’islam politique dans l’Hexagone lui-même.
En effet, il est difficile de ne pas voir cette arrogance combative comme le défaut fatal de Mélenchon. Le fait est que, loin de vouloir détruire la Cinquième République au nom d’une révolution fantasmée, la plupart des Français sont épuisés par le désordre des dernières années — et aspirent, au contraire, à la stabilité. Plus que cela, ils sont désespérés de faire entendre leur voix. C’est la véritable conséquence de l’affaire Le Pen, de nombreux électeurs la voyant comme un blocage délibéré de l’État sur un parti politique légitime, niant les voix de tous ceux qui ont voté pour le Rassemblement National lors de la dernière élection. Il va sans dire que c’est un déclencheur de révolte bien plus probable que le rêve de créolisation de Mélenchon.
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