Dans l’ouverture de A Little History of the World d’E. H. Gombrich, une belle métaphore illustre le travail de l’historien. L’histoire, écrit-il, est comme un puits sans fond qui s’étend dans l’éternité, visible uniquement par le souvenir humain qui tombe à travers les générations, tel un morceau de papier enflammé lâché dans le vide, devenant de plus en plus petit à mesure qu’il chute et finit par disparaître.
Cette image me revient en tête lorsque je considère le sentiment de déjà-vu qui pèse actuellement sur la vie britannique. On a l’impression d’avoir déjà été ici, et plus d’une fois. Vivre en Grande-Bretagne aujourd’hui, c’est être saisi par un malaise accablant et constant, qui, ces derniers mois, s’est transformé en quelque chose de plus sombre et de plus violent : une humeur de ressentiment bouillonnant et de colère prête à exploser. À bien des égards, cette atmosphère est totalement nouvelle : un reflet de l’ère mondialisée et des réseaux sociaux dans laquelle nous évoluons désormais. Et pourtant, elle semble aussi étrangement, douloureusement familière — un lointain souvenir de notre passé récent. Pauvre, pluvieuse Grande-Bretagne, une fois de plus incertaine de ce qu’elle doit faire d’elle-même, ballottée par les tempêtes idéologiques venues des États-Unis, humiliée par ceux à qui nous nous accrochons le plus.
Exactement comment nos cousins américains choisissent de nous rabaisser pourrait être nouveau, mais Elon Musk et Donald Trump sont des personnages avec lesquels nous sommes tous trop familiers. Qui est Trump, après tout, sinon une version caricaturale et démesurée du commandant en chef déclassé incarné par Billy Bob Thornton dans Love Actually ? Pour compléter le tableau, nous avons maintenant Keir Starmer contraint de jouer le rôle de Hugh Grant, lui-même incarnant le Tony Blair de la fantaisie de l’Angleterre moyenne en 2003.
Cependant, la familiarité de Trump n’est pas seulement culturelle. Les trois grands bas de la Grande-Bretagne d’après-guerre se sont produits en 1956, avec la calamité de Suez ; en 1976, avec l’humiliation du plan de sauvetage par le FMI ; et en 2003, avec l’invasion de l’Irak. Dans chaque cas, la honte de la Grande-Bretagne n’a pas été atténuée par son alliance avec les États-Unis, mais plutôt aggravée par celle-ci. À Suez, la menace de ruine économique émise par Dwight Eisenhower a forcé la retraite d’Anthony Eden. Pendant la crise du FMI, l’administration de Gerald Ford a refusé d’être « l’hôte d’un parasite », imposant une austérité que la Grande-Bretagne considérait auparavant comme inimaginable. Et puis, en 2003, c’était le désir d’éviter une rupture calamiteuse avec l’Amérique qui a finalement condamné le mandat de Blair. Les indignités des derniers mois sont-elles vraiment si différentes ?
Parmi ces moments, ce sont les années 70 qui, au départ, semblent offrir le parallèle le plus évident. Malmenée à la fois par ses propres échecs économiques et par les tempêtes venues des États-Unis après la décision de Richard Nixon d’abolir unilatéralement l’ordre de Bretton Woods, la Grande-Bretagne a traversé calamité après calamité jusqu’à ce que la révolution thatchériste de 1979 change la donne. C’est du moins l’histoire qui nous est désormais racontée. Tel est, en effet, le pouvoir de la fable thatchériste — ce que nous pourrions appeler le « Iron Ladyisme » — qu’elle est devenue le récit conventionnel de l’ensemble de l’histoire d’après-guerre de la Grande-Bretagne : d’abord le déclin, puis le renouveau. Aujourd’hui, bien sûr, nous revenons au déclin.
Cependant, plus je plonge dans le puits de notre passé récent, plus il devient évident qu’il faut regarder au-delà des années 70, vers la décennie tumultueuse qui les précéda, pour saisir la véritable signification de notre tourmente actuelle. Si les années 70 furent celles où l’ordre d’après-guerre a enfin expiré, ce sont les années 60 qui ont préparé le terrain pour cet effondrement, après des années de retrait impérial, d’humiliation militaire, de violence domestique, de bouleversements idéologiques et, finalement, de rébellion conservatrice. Cela vous dit-il quelque chose ?
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