À cette époque l’année prochaine, le monde pourrait voir les arcanes de la réincarnation bouddhiste tibétaine prendre le devant de la scène dans la politique mondiale. Car le 14ème dalaï-lama, qui a célébré son 89ème anniversaire il y a quelques semaines, a longtemps promis de révéler ses plans de succession lorsqu’il aura 90 ans. Par le passé, il a suggéré que sa réincarnation pourrait avoir lieu en Inde ou quelque part à l’Ouest. Ce sera un moment chargé de dangers pour le Tibet et les Tibétains en exil, mais aussi pour les relations entre deux des pays les plus puissants de la terre : la Chine et l’Inde.
Le Tibet et la Chine ont une longue histoire commune, et leur passé a rarement été heureux. À l’apogée de son pouvoir au VIIIe siècle, les armées du royaume tibétain ont combattu pour entrer dans la grande capitale de la Chine Tang, Chang’an, et l’ont occupée. L’Empire tibétain se fragmenterait plus tard après que le dernier roi du Tibet ait été assassiné en 842, et des enseignants bouddhistes connus sous le nom de lamas finiraient par régner à sa place. Ils ont aidé les Mongols à gouverner le Tibet au XIIIe siècle. Puis, en 1279, Kublai Khan a établi la dynastie Yuan, la dynastie dirigée par les Mongols en Chine, et le Tibet est devenu nominalement une partie de son empire.
Le degré d’autorité sur les affaires tibétaines exercé par les empereurs chinois des dynasties Yuan, Ming et Qing a beaucoup fluctué au fil du temps, mais en général, ils préféraient l’influence indirecte au contrôle direct. Crucial pour ces arrangements était le maintien de bonnes relations avec les dirigeants bouddhistes du Tibet et en particulier avec ses tulkus. Il s’agissait de lignées d’hommes et parfois de femmes considérés comme des manifestations d’un bodhisattva particulier : un être éclairé qui retarde son entrée au paradis pour aider les autres. En contrôlant le royaume intermédiaire entre la mort et la renaissance, ils pouvaient choisir des incarnations humaines spécifiques, encore et encore, afin de continuer leur lignée et de remplir leur but salvifique dans le monde. Parmi les lignées tibétaines les plus connues figurent les Karmapas et les Panchen et Dalaï Lamas.
La lignée du dalaï-lama remonte au tournant du XVe siècle, atteignant son apogée avec le ‘Grand Cinquième’ dalaï-lama qui a uni le Tibet sous son règne en 1642. Les dalaï-lamas suivants ont joui d’une autorité spirituelle et politique mais se sont retrouvés mêlés à des luttes de pouvoir entre les Mongols voisins et les Chinois. En 1720, l’empereur Kangxi de la dynastie Qing a remporté une victoire décisive sur un rival mongol et a réussi à installer son candidat favori comme 7ème dalaï-lama. À partir de ce moment, la dynastie Qing de la Chine considérait le Tibet comme une sorte de protectorat et la question de la réincarnation d’un dalaï-lama comme étant très largement de leur ressort.
Pourtant, les mystères de la réincarnation étaient souvent difficiles à contrôler. Traditionnellement, un vieux dalaï-lama pouvait laisser des informations écrites sur l’endroit où il avait l’intention d’être réincarné ou donner des indices durant les dernières semaines de sa vie. La direction dans laquelle la fumée dérivait lors de sa crémation pouvait être observée pour des indices. Des lamas seniors pesaient ces éléments aux côtés de leurs propres rêves ou intuitions avant de rendre visite aux enfants qui semblaient être des candidats probables. Là, ils pouvaient présenter devant l’enfant certains des objets du prédécesseur, aux côtés d’objets sans rapport, pour voir si l’enfant reconnaissait les bons objets comme étant les siens.
Inquiet des querelles politiques et de la corruption qui accompagnaient parfois ce processus, et préoccupé plus largement par le fait que les Tibétains s’adonnaient à la divination alors que cela était censé être le privilège de la cour impériale, l’empereur Qianlong a cherché à exercer un certain contrôle sur les réincarnations tibétaines. Dans un mouvement qui pourrait avoir d’importantes répercussions l’année prochaine, l’empereur a décidé en 1792 d’intervenir dans le processus d’identification des réincarnations au sein des lignées tulku. Douteux personnellement de la doctrine bouddhiste de la réincarnation mais résigné à gérer le peuple tibétain selon leurs propres termes, l’empereur a fait fabriquer une urne en or et l’a envoyée à Lhassa. Lorsque le moment est venu d’identifier une réincarnation, les candidats identifiés de la manière habituelle auraient leurs noms placés à l’intérieur de l’urne. Après que des prières aient été dites, un seul nom serait tiré par un fonctionnaire Qing.
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