Pendant ce temps, un nouveau groupe de cavaliers sous la direction de Nigel Farage est apparu sur la scène, tranchant à travers l’ennui lancinant de la campagne pour revendiquer quelques petits coins d’Angleterre pour lui-même, et beaucoup plus de voix, tout comme Ed Davey l’a fait pour les Libéraux-Démocrates. Malgré le succès étonnant de Davey, du moins en termes de sièges qu’il a réussi à remporter avec une part de vote globale de seulement 12 %, Farage reste la personnalité qui a imposé sa volonté sur la course, un showman de la cavalerie dont les raids de l’arrière-garde sur les lignes arrière des Tories l’ont aidé à obtenir la percée parlementaire qu’il convoitait depuis si longtemps, et juste à temps pour diriger la révolte des paysans qu’il a construite depuis des décennies. La réalité ce matin est que peu de gens doutent maintenant de lui lorsqu’il prévient que le résultat n’est « que le premier pas vers quelque chose qui va stupéfier chacun d’entre vous ». Aussi récemment qu’en 2017, le Front National de Marine Le Pen n’avait que deux députés. Aujourd’hui, elle est sur le point d’accéder au pouvoir, les Républicains gaullistes ne sont plus qu’une coquille vide. Pour Keir Starmer, un avertissement — comme peuvent en témoigner Boris Johnson et Emmanuel Macron : les révolutions ont tendance à dévorer les leurs.
À bien des égards, il s’agit du résultat électoral le plus curieux. Le Labour a remporté une victoire écrasante avec 34 % des voix — c’est moins que Tony Blair en 1997, 2001 et 2005, David Cameron en 2010 et 2015, Theresa May et Jeremy Corbyn en 2017, et Boris Johnson en 2019. Deux facteurs d’une importance capitale ont assuré au Labour sa victoire écrasante. Tout d’abord, l’effondrement du vote conservateur à seulement 24 % — bien moins que Jeremy Corbyn lors des dernières élections, Gordon Brown en 2010 et même Michael Foot en 1983 ; un rejet historique du gouvernement. Et deuxièmement, la performance extraordinaire de Reform, le parti de Nigel Farage, qui a remporté 14 % des voix, mais seulement quatre députés — plus de voix que les Liberal Democrats pour beaucoup moins de députés. Aujourd’hui, cependant, les forces massées de Farage se trouvent en deuxième position dans de vastes régions d’Angleterre — la nouvelle opposition naturelle au Labour. Comme Farage l’a souligné à juste titre, cela pourrait bien s’avérer être l’un des faits dominants de la politique britannique au cours des cinq prochaines années. Pouvez-vous vraiment imaginer le Labour osant se rapprocher trop de l’Union Européenne étant donnée cette nouvelle vulnérabilité ? Farage n’a peut-être que trois collègues avec lui au Parlement, mais son influence dans la politique britannique est sur le point d’augmenter drastiquement.
Creusez un peu plus dans les résultats et on voit des signes inquiétants pour le Labour : Jeremy Corbyn remportant à Islington, l’expulsée Faiza Shaheen privant le parti d’un autre siège à Chingford, Jonathan Ashworth perdant à Leicester et Wes Streeting frôlant la défaite à Ilford. Pourtant, dans l’ensemble, de tels détails ne sont que cela — des détails. La victoire est bien celle du Labour.
Au cours des six dernières semaines, j’ai voyagé à travers le pays en parlant à des ministres, des candidats, des initiés du parti et aux généraux de campagne des deux côtés pour comprendre ce qui se passait et pourquoi, plongeant profondément à l’intérieur des entrailles des deux machines partisanes. Durant cette période, j’ai vu un contraste d’une intensité saisissante : d’un côté, un parti résolument engagé dans la victoire et de l’autre, un parti qui avait depuis longtemps perdu la discipline nécessaire pour gouverner et donc même pour commander le respect du pays.
Pour le Parti travailliste, la machine était dirigée par ceux entièrement concentrés sur une seule chose : le pouvoir. Il s’agissait d’hommes et de femmes qui ont commencé l’année 2021 sur la terre trempée et boueuse de l’impopularité pour découvrir soudainement que leur chemin vers un terrain plus élevé avait été dégagé par l’incompétence grotesque d’un parti conservateur. En revanche, j’ai vu un parti au pouvoir déconcerté par la situation dans laquelle il s’était retrouvé, perdu au point de ne pas comprendre pourquoi il perdait si gravement ; un parti désespéré jouant une carte désespérée et échouant à chaque pari qu’il faisait, dirigé par un Premier ministre qui réussissait à être encore plus arrogant quant à sa capacité politique que ses prédécesseurs. Pendant quatre élections générales consécutives, la Grande-Bretagne avait voté pour les conservateurs pour arrêter quelque chose d’autre : Gordon Brown « mettant la Grande-Bretagne en faillite », Ed Miliband étant sous l’influence d’Alex Salmond, Jeremy Corbyn bloquant le Brexit. Dès que les conservateurs n’avaient plus aucune chance de vaincre qui que ce soit, les électeurs les ont désertés en masse, leur raison d’être ayant disparu.
La campagne que nous venons de voir était finalement une bataille entre un parti prêt à faire les sacrifices nécessaires pour obtenir le pouvoir, et un autre qui avait depuis longtemps abandonné la discipline organisationnelle pour le conserver. C’était une campagne lancée par désespoir par un Premier ministre qui semblait tellement désorienté par ses propres échecs au gouvernement qu’il était incapable de voir l’absurdité de son pari imprudent. Une grande partie du résultat doit donc être attribuée à Sunak, un homme qui s’est révélé incapable de la tâche qui lui incombait. Mais ce n’est pas tout. La vérité est que Sunak a hérité d’un Parti conservateur qui avait depuis longtemps perdu la volonté du pouvoir, et en a été brisé en conséquence.
Le lendemain de l’élection il y a cinq ans, Boris Johnson s’est rendu à Sedgefield pour se déclarer le Seigneur Serviteur du Nord. Rishi Sunak se rend aujourd’hui au palais de Buckingham ayant perdu non seulement le Nord, mais la majeure partie du reste du pays avec. Les conservateurs étaient autrefois le parti national : le parti de l’Angleterre et de l’Union, de la ville et du comté. Aujourd’hui, ils sont un parti de rejet national.
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La calamité conservatrice est illustrée par la manière de son départ. Le Parti travailliste savait que la campagne avait commencé six heures avant que Sunak ne l’annonce à 18 heures le 22 mai. Le jour précédent, McSweeney [NDT : Directeur de campagne du Labour] avait reçu un message texte d’un ami qui surveillait les marchés des paris et avait remarqué une activité intense de personnes plaçant des paris sur une élection le 4 juillet. Lorsque McSweeney est arrivé au Parlement le lendemain et a croisé Starmer se préparant pour les Questions au Premier ministre, on spéculait vivement que Sunak s’apprêtait à agir. Mais McSweeney a estimé que le volume important de paris était suffisant comme preuve pour commencer à se préparer. Lorsqu’il est retourné au siège du Parti travailliste vers midi, il a autorisé le responsable du numérique du Labour, Tom Lillywhite, à commencer à acheter de l’espace publicitaire numérique sur YouTube et ailleurs, tout en donnant le feu vert au personnel pour commander le logo « Change » du parti pour le pupitre d’où Starmer parlerait plus tard. Comme me l’a dit une figure de premier plan, il ne leur est jamais venu à l’esprit qu’ils pourraient essayer de tirer profit des informations qu’ils avaient. La pourriture conservatrice était déjà évidente.
McSweeney et son équipe la plus proche avaient planifié le premier jour de la campagne à plusieurs reprises au cours des mois précédents, conscients que la plus grande valeur qu’il pouvait apporter était au début. Ce démarrage anticipé était donc doublement significatif. Pour Isaac Levido, le vétéran de campagne aguerri auquel Sunak avait confié la campagne conservatrice, l’inverse était vrai. Non seulement il avait perdu l’effet de surprise, mais il ne savait pas que c’était le cas, sa confiance ayant été trahie par ceux qui avaient perdu la tête. Plus important encore, Levido était également chargé de mener une campagne à partir d’une position contre laquelle il avait conseillé. Levido, qui avait déjà joué un rôle de premier plan lors des trois élections précédentes, savait que le principal avantage d’être déjà en exercice réside dans la capacité de déclencher les élections au moment de votre choix — et selon vos conditions. Compte tenu de cela, Levido avait conseillé au Premier ministre d’attendre l’automne, argumentant que la meilleure — et peut-être la seule — chance du parti résidait dans le fait de jouer la carte de la durée. Avec la baisse de l’inflation, l’argument allait, les taux d’intérêt baisseraient également, aidant à créer un environnement dans lequel les gens pourraient, peut-être, commencer à se sentir mieux quant aux perspectives du pays. Dans un jeu où l’ambiance et les émotions sont aussi importants que les faits, attendre était tout simplement la chose sensée à faire.
Cependant, privé de son message le plus fort, Sunak a dû en livrer un différent sous la pluie battante devant le n° 10. « Il se peut que ce soit encore difficile lorsque vous regardez votre solde bancaire, mais cette stabilité économique durement acquise n’était censée être que le début. » Ce n’est guère la meilleure argumentation pour la réélection. Ce n’est plus « le plan a fonctionné, ne vous y risquez pas » mais « le plan fonctionnera — faites-moi confiance ».
Depuis que Sunak est devenu Premier ministre, Levido exhortait le parti à rester fidèle à son message principal aux électeurs : qu’il avait un plan et que cela fonctionnait. Sunak l’avait lancé le 4 janvier 2023, quelques mois seulement après son entrée en fonction, en énonçant cinq engagements qui pouvaient être répétés en 13 mots : « Diviser l’inflation ; faire croître l’économie ; réduire la dette ; réduire les listes d’attente ; arrêter les bateaux. » Levido avait travaillé avec Lynton Crosby en janvier 2014, lorsque David Cameron avait également cherché à encadrer les prochaines élections plus d’un an à l’avance, dévoilant son « plan économique à long terme ». Mais après les calamités de Johnson et Truss, les électeurs n’accepteraient plus un autre slogan, argumentait Levido. Ils avaient besoin d’engagements auxquels on pouvait les tenir. Et ainsi sont nés les cinq engagements.
Le problème pour Sunak était double. Le premier était que le parti n’était plus assez discipliné pour se rallier autour de ce message, ou même semblait capable de le délivrer. Lors d’une « journée hors site » des conservateurs l’année dernière, des députés se plaignaient à Levido qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’ils se souviennent de tous les engagements. Levido était exaspéré.
Le problème le plus important avec les engagements, cependant, était que Sunak ne pouvait pas réellement les tenir, échouant sur tous sauf les deux premiers. Et plus il attendait, plus cela empirait. Non seulement il n’arrivait pas à prendre en main le National Health Service et la crise des bateaux d’immigrés clandestins, mais les prisons du pays étaient en déroute, les vols vers le Rwanda pour y emmener les clandestins n’avaient guère de chances de se concrétiser, les jeunes médecins continuaient de faire grève et, ce qui était le plus alarmant, il ne pouvait absolument pas compter sur le parti parlementaire conservateur pour maintenir la discipline pendant l’été. Sunak avait perdu confiance en sa capacité à gouverner.
C’est face à un tel échec — et à sa perte de confiance en sa capacité à y remédier — que Sunak a dû choisir entre une mort lente ou un suicide politique. Ignorant les conseils de Levido, il a choisi la seconde option.
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Forcé de mener le parti au combat, Levido a élaboré une stratégie qui aller commencer par une avalanche de promesses de campagne ciblant les électeurs potentiels de Reform. Cela aller obliger les gens à choisir entre le Labour et les Conservateurs dans un affrontement direct. À partir de là, Levido espérait que la course allait se resserrer et que le parti passerait à son message central : « Risque, risque, risque. » C’était, selon Levido, la meilleure option disponible pour les Tories. Privé du message de « stabilité » qu’aurait permis une campagne plus longue, il a été contraint de pivoter vers un message de « sécurité » contre le Labour.
Alors que Levido et son équipe s’attendaient à quelques premiers jours difficiles, alors que les députés s’insurgeaient contre la témérité du Premier ministre, ils ne s’attendaient pas à devoir endurer une succession de gaffes — Sunak demandant à un groupe de tenanciers gallois s’ils attendaient avec impatience les championnats européens pour lesquels ils n’étaient pas qualifiés ; ou apparaissant au quartier Titanic à Belfast alors que sa propre campagne semblait sombrer. Malgré cela, le plan montrait quelques timides signes vitaux. Les annonces promettant le service national obligatoire et un nouveau « verrou quadruple » pour les retraités différenciaient avec succès le parti du Labour. Les sondages internes des conservateurs montraient une amélioration de la cote de popularité du parti. Le fait que les députés ne se déchirent plus entre eux a aidé, tandis que le Labour devait faire face à une série de problèmes de sélection de candidats.
Mais, ensuite, deux catastrophes. Tout d’abord, Nigel Farage a annoncé qu’il prenait la tête de Reform et se présentait dans la circonscription de Clacton. Puis Sunak est allé en Normandie et, inexplicablement, est parti avant la fin des commémorations du Jour J. De retour à Londres, les responsables de campagne les plus hauts placés ont soudainement réalisé avec horreur que les dirigeants de la France, de l’Allemagne et des États-Unis étaient tous là sur la plage ensemble — aux côtés de David Cameron, et non de Sunak. « Qu’est-ce que c’est que ça ? » a crié un haut responsable conservateur, regardant les écrans de télévision. Levido a conseillé au Premier ministre que la seule option était de s’excuser, de cautériser la plaie et de passer à autre chose, mais personne n’avait d’illusion sur la gravité de la situation pour la campagne. Tout espoir de resserrement anticipé des sondages a disparu.
Cependant, McSweeney pensait que la stratégie de campagne de Sunak était vouée à l’échec depuis le début : il maintenait qu’il n’était tout simplement pas possible de séduire les électeurs de Reform de cette manière sans donner l’impression que la campagne des Tories était marginale pour tous les autres. Le péché capital de Sunak, selon McSweeney, était de ne pas avoir résolu son problème avec la Reform plus tôt : il aurait pu se tourner vers la droite pour écraser le parti ; ou il aurait pu se définir comme un centriste fort en prenant publiquement position contre les députés récalcitrants qui avaient soutenu Liz Truss ou flirtaient avec Farage. En ne faisant ni l’un ni l’autre, Sunak s’était exposé de manière fatale.
Pire, son parti semblait déconnecté. Pourquoi parler du service national à des personnes qui se noyaient sous le poids de leurs factures alimentaires, énergétiques et de garde d’enfants ? Ils ne pouvaient se permettre de faire de telles promesses spécifiques qu’une fois qu’ils auraient établi un message de campagne fort, ce qu’ils étaient incapables de faire. « Ils devaient d’abord faire décoller l’avion, » m’a dit une figure importante du Labour. Mais ce n’était pas seulement une question de politiques contre-productives ; selon McSweeney, le simple fait que Sunak ait soudainement essayé de prendre tout le monde au dépourvu avec son pari électoral renforçait également le récit du chaos conservateur.
En privé, je comprends que Levido soit frustré que sa stratégie pour le début de l’élection n’ait pas été couronnée de succès. Il croit que cela a échoué parce que, au final, les électeurs avaient simplement cessé d’écouter les Tories. Ils en avaient assez. Mais commencer avec un retard de 20 points dans les sondages exigeait une stratégie plus risquée que celle disponible pour le Labour. Levido avait raison de croire que fermer l’écart dans les sondages était le seul moyen de changer le récit de la campagne. En effet, la réalité est que dès que Sunak a annoncé les élections, la campagne des Tories n’était pas axée sur la victoire, mais sur l’atténuation de l’ampleur de la défaite. Pourtant, à la mi-juin, il y avait encore de l’espoir au sein du parti conservateur que les Conservateurs pourraient terminer avec plus de 200 députés. Aujourd’hui, le parti est soulagé d’être le principal parti d’opposition. À moins qu’il ne remette de l’ordre rapidement, il ne sera pas aussi chanceux la prochaine fois. Remarquablement, cette défaite est à la fois une punition et un acte de clémence. Une épée de Damoclès plane désormais au-dessus du Parti conservateur.
McSweeney et Levido sont finalement d’accord sur le fait qu’une grande partie du problème des Tories – et du succès du Labour – est due à des décisions prises bien avant l’appel aux élections. L’échec des Tories d’aujourd’hui était programmé bien avant que Sunak ne se tienne sous la pluie devant Downing Street et scelle son destin.
En effet, ceux qui connaissent à la fois McSweeney et Levido sont frappés par leur similitude en tant qu’opérateurs – calmes, posés et pragmatiques. Sunak et Starmer sont également remarquablement similaires dans les tâches qui leur sont confiées en tant que dirigeants. Tous deux sont arrivés à la tête de partis qui s’étaient révélés incapables de gouverner. Et tous deux ont d’abord essayé de maintenir l’unité de leur parti plutôt que de s’attaquer à ceux qui avaient mené le parti au bord de la ruine.
Au début, en vérité, Starmer et McSweeney étaient assez préoccupés par Sunak. Il était jeune, énergique et apparemment compétent pendant l’ère du Covid. Mais ensuite, il a montré sa faiblesse principale. Selon McSweeney, le grand succès de Boris Johnson en 2019 a été de persuader les électeurs qu’il était sérieux au sujet du changement en purgeant les députés qui se trouvaient sur son chemin – y compris son propre frère. Sunak s’est convaincu qu’il n’avait pas besoin de le faire ou peut-être qu’il ne pouvait pas. Pour McSweeney, c’était son péché originel. Comme l’a dit un responsable travailliste : « Il avait un tigre à sa porte d’entrée et il devait sortir et soit le tuer, soit essayer de le ramener dans la maison pour le domestiquer. Il n’en a rien fait et s’est retrouvé pourchassé par sa porte de derrière. » En 2022, les options pour afficher de la force étaient extrêmes : expulser Liz Truss ; condamner Boris Johnson ; lancer une guerre contre Nigel Farage. En tant que chef non élu d’un parti divisé, de telles options ne lui étaient pas disponibles. Ni l’inverse : inviter Farage à devenir un Tory. La tâche d’évaluer ces options incombe désormais au prochain dirigeant des Tories, quel qu’il soit.
Ceux qui ont travaillé avec Rishi Sunak et Boris Johnson me disent que la différence fondamentale entre les deux était une question d’ « instinct animal ». Sunak était sérieux, correct et il était agréable de travailler avec lui, animé par une conviction optimiste qui l’avait bien servi tout au long de sa vie : parce qu’il était généralement plus intelligent que tout le monde dans la pièce, il n’avait besoin que de travailler plus dur que tout le monde pour gagner. Johnson, quant à lui, a réalisé que la politique est plutôt médiévale : un jeu de pouvoir et de théâtre dans lequel les démonstrations d’autorité comptaient. Cependant, c’est Starmer qui a appris la leçon de Johnson, pas Sunak. Et il est peu probable qu’il répète maintenant les erreurs de Johnson au gouvernement, bien qu’il puisse rapidement se rendre compte qu’il est tout aussi impopulaire pour toute une série d’autres raisons.
S’il n’y avait jamais eu des tigres à la porte de Starmer, peu doutent maintenant que McSweeney les aurait abattus. Il savait que le simple fait que le Labour ait présenté Jeremy Corbyn comme chef risquait de discréditer l’ensemble du parti aux yeux des électeurs. Étant donné que Starmer avait servi sous Corbyn pendant presque tout son mandat au gouvernement, cela aurait pu être fatal dans une campagne. Pourtant, McSweeney et Starmer ont agi pour remédier à cette faiblesse en écartant non seulement Corbyn, mais en l’expulsant du parti parlementaire et en l’empêchant de se présenter pour le Labour. McSweeney et ses proches maintiennent que c’était une condition préalable au résultat d’aujourd’hui. Il a également agi pour exiler le leader corbyniste du Labour en Écosse, Richard Leonard. Sans cet autre acte de cruauté, McSweeney croit que la défaite écrasante du SNP d’aujourd’hui aurait été impossible. L’homme de Cork qui a sauvé l’Union – c’est une histoire incroyable.
Même après le début de la campagne, l’équipe de premier plan de Starmer s’est montrée impitoyable dans leur insistance pour que tout candidat travailliste qui risquait de leur causer des ennuis à l’avenir ne soit pas autorisé à se présenter. Cela leur en a coûté à Islington et Chingford, mais cela sera considéré comme un prix qui en vaut la peine. Les erreurs de Starmer sur Gaza – principalement cette interview de LBC – ont été tout aussi coûteuses. Où ira maintenant cette colère musulmane envers le Labour ? Voici encore un autre courant de la politique britannique qui pourrait déboucher sur quelque chose d’important. Mais ce n’était pas seulement la décision de se débarrasser des leaders gênants de la gauche au sein du Labour qui a montré l’impitoyabilité de McSweeney. Avant la campagne, lui et le coordinateur de campagne de Starmer, Pat McFadden – maintenant assuré de devenir l’une des plus grandes figures du gouvernement entrant – avaient également agi pour éliminer toutes les faiblesses potentielles imaginables, non seulement avec Corbyn mais aussi sur les impôts, les dépenses, la transition vers l’énergie verte, le Brexit, l’immigration et le débat sur le genre. Le parti a simulé toutes les différentes campagnes que les Tories pourraient essayer de mener, y compris celle qu’ils ont finalement menée : les impôts. Aucune des figures de premier plan ne s’est écartée de ce message. Même les syndicats, mécontents de la direction générale du Labour, ont joué leur rôle. Il s’agissait d’un mouvement déterminé à saisir leur moment, l’attrait du pouvoir se révélant être autant une force disciplinaire que la lassitude du pouvoir s’est avérée handicapante pour les Conservateurs.
Le Brexit restera bien sûr l’héritage déterminant de l’ère conservatrice. Ce gouvernement a été élu pour mener à bien le Brexit et l’a fait, peu importe de manière déshonorante. Pourtant, le Brexit qu’ils ont réalisé est désormais profondément impopulaire, ni assez proche de l’UE pour éviter les frictions inévitables du retrait, ni assez distinct pour prouver aux électeurs qu’il y avait beaucoup de bien à tirer de toutes les souffrances. Plus important encore, il ne semble pas avoir fonctionné pour de nombreux électeurs dont les griefs n’étaient pas vraiment liés à l’Union Européenne mais plutôt au sentiment d’impuissance qu’ils ressentaient face à leur propre gouvernement. Les questions jumelles de l’immigration et de la Cour européenne des droits de l’homme vont maintenant combler le vide autrefois occupé par l’Union Européennes, le carburant qui va propulser la nouvelle armée de Farage. L’ironie maintenant est que le défi de faire fonctionner le Brexit incombe désormais à Starmer, l’homme qui a essayé de l’arrêter. Ce qu’il en fera lui appartient désormais. Le parti d’Angleterre a perdu le contrôle de sa propre révolution. Dans Richard II de Shakespeare, John de Gaunt gît mourant, déplorant le règne de son Roi : « Cette Angleterre, qui avait l’habitude de conquérir les autres, a fait une conquête honteuse d’elle-même. » Nous pouvons dire la même chose du Parti conservateur.
Et alors qu’il agonise, il y a peu à gagner pour les Conservateurs, ni pour les Libéraux-Démocrates ou Reform, à prétendre que Keir Starmer n’a pas de mandat pour la révolution parce qu’il n’a remporté que 34% des voix. Ils lui ont remis les clés du 10 Downing Street. En termes de pouvoir brut, son exploit est plus impressionnant que celui de Clement Attlee, Harold Wilson ou même Tony Blair, qui ont nécessité un retournement de situation de proportions semblable à celui de 1997 simplement pour devenir le gouvernement. Au lieu de cela, il a transformé la plus grande majorité conservatrice depuis 1987 en la plus grande majorité travailliste depuis 2001. Il est maintenant notre Seigneur Protecteur puritain, maître du Parlement. Avec Sue Grey dirigeant Whitehall, Starmer contrôle Westminster d’une manière que Boris Johnson n’aurait jamais pu. La machine lui appartient.
En tant que chef du Labour, Starmer a montré ses deux traits principaux, il est discipliné et impitoyable, ce qui n’a pas été en évidence du côté conservateur depuis même avant la dernière élection. Oui, Starmer est maintenant lié par un manifeste d’une telle discipline rigide qu’il rendra la vie plus difficile au gouvernement : il sera contraint de gérer la même infrastructure grinçante, financée par la même économie grinçante. Mais s’il est à peu près aussi impitoyable dans l’application du pouvoir qu’il l’a été dans sa quête de pouvoir, le manifeste ne le liera pas longtemps.
L’ampleur de sa victoire est si unique que, d’une certaine manière, il est plus difficile de prédire d’où viendront les défis à son autorité – de son cabinet, peut-être ? Ou du nouveau groupe de Reform de Farage ? Peut-être même, d’une manière ou d’une autre, du cadavre encore chaud du Parti conservateur. Tout ce que nous savons, c’est que les défis viendront. McSweeney et d’autres étaient sereins face au danger posé par Reform lors de cette élection, calculant correctement que le parti a davantage nui aux Tories qu’au Labour, mais ils sont déjà conscients du danger que Farage posera bientôt dans de vastes régions de l’Angleterre rurale qui ont voté travailliste cette année mais ont laissé Reform en deuxième place. Il est également vrai que bien que le Labour ait fait preuve de discipline sur des questions avec lesquelles il n’est pas à l’aise, il reste vulnérable à tout parti politique sérieux sur les questions du genre, d’immigration et de culture en particulier.
Malgré la discipline dont le parti travailliste a fait preuve au cours des dernières années, la morale de cette histoire est finalement celle du crime et de la punition ; un parti au pouvoir rendu fou par ses échecs de caractère, comme Raskolnikov, incapable de se contrôler, incapable de gouverner et finalement, à la mort, incapable même de penser clairement et de maintenir sa dignité. Le parti a été envoyé en exil, pas tout à fait mort, mais brisé. Il faudra beaucoup de temps pour effacer l’opprobre de sa défaite. « Ah, que le scandale disparaisse avec ma vie, » déclare John de Gaunt, avec espoir. Pas de chance pour Sunak, Truss, Johnson et le Parti conservateur.
Car aujourd’hui est le jour de Keir Starmer. Et de Morgan McSweeney. La politique est la poursuite du pouvoir et ils l’ont poursuivi mieux que quiconque. Maintenant, ils doivent l’exercer. Devenir roi ne garantit en rien la sécurité après tout. Il suffit de demander à Richard II.
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