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Le faux radicalisme du Front populaire La gauche française contient les germes de sa propre disparition

A woman protests in Toulouse this week (PAT BATARD/Hans Lucas/AFP via Getty Images)

A woman protests in Toulouse this week (PAT BATARD/Hans Lucas/AFP via Getty Images)


juin 27, 2024   6 mins

Interviewée à la télévision française vendredi dernier, une parlementaire éminente de La France Insoumise d‘extrême gauche, Matilde Panot, a défendu une affirmation faite par son leader, Jean-Luc Mélenchon, sur l’inexpérience relative de Léon Blum lorsqu’il est devenu chef du gouvernement français en 1936. Lorsqu’on lui a rappelé que Blum avait siégé au parlement pendant plus de 15 ans en tant que leader de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), elle a concédé sa défaite. « Je ne sais plus d’où je tenais ça », marmonna-t-elle.

Une confusion similaire plane sur le Nouveau Front Populaire. Le parti est le résultat auquel on s’attendait suite à la décision d’Emmanuel Macron de convoquer des élections anticipées. Son nom évoque l’union de la gauche dans les années 30, qui a culminé avec la formation du gouvernement du Front Populaire en 1936 : un gouvernement dirigé par Léon Blum et un ensemble de ministres de la SFIO et du Parti Radical, soutenu de l’extérieur par le Parti Communiste Français (PCF) de Maurice Thorez.

Pourtant, comme l’a démontré Panot, le choix du nom ne découle pas d’une connaissance intime de l’histoire du Front Populaire. Aujourd’hui, il s’agit simplement d’un slogan, célébrant une démonstration étonnamment rapide d’unité à gauche et — surtout — un désir d’insister auprès des électeurs français sur le danger d’une victoire de l’extrême droite aux élections à venir. En effet, si l’on compare de plus près le monde de 1936 avec celui de 2024, on peut voir comment le Nouveau Front Populaire est une bête très différente de son homonyme : au lieu de refléter les intérêts changeants de certains groupes sociaux en France, il est une expression de l’opportunisme électoral.

Comme l’historienne Claire Andrieu l’a récemment observé, le Front Populaire de 1936 était une fusion des mouvements socialistes et communistes en France, imposée aux dirigeants de partis et parlementaires réticents par des membres et militants déterminés à bloquer la dérive de la France vers un nationalisme autoritaire et à obtenir des gains spécifiques dans la lutte des classes entre travailleurs et patrons. Ce mouvement a été déclenché par des manifestations violentes menées par le groupe d’extrême droite Action Française le 6 février 1934, que beaucoup ont considéré comme une tentative de prise de pouvoir. Pendant des mois, les dirigeants du PCF et de la SFIO ont résisté à ces demandes de base pour l’unité, jusqu’à ce que le PCF soit sommé par Moscou de conclure un accord avec les socialistes.

Cette fusion, et l’élaboration d’un programme législatif commun, a été rendue plus difficile par la nature de la démocratie française à l’époque. Bien qu’excluant encore les femmes, la Troisième République était profondément enracinée dans la société. Son arène politique était peuplée non seulement de partis politiques, mais aussi d’une multitude de groupes de travailleurs organisés, et d’une pléthore de comités et ligues d’intellectuels. Par conséquent, le programme du Front Populaire a été validé non seulement par le PCF, la SFIO et les Radicaux, mais aussi par les principaux syndicats du pays. Ainsi, la coalition était l’une des premières expressions de ce que le sociologue Peter Wagner a appelé l’ère de la ‘modernité organisée’ : une action collective, poursuivie par des groupes sociaux, structurant la vie des individus, des familles, des villages et des villes, résultant en une fusion entre la politique et la société.

En revanche, le Nouveau Front Populaire de 2024 a été négocié en six jours, à huis clos, par les chefs de parti. L’accord a été conclu entre le Parti Socialiste, les Verts, La France Insoumise (LFI) et le Parti Communiste Français. Il a également attiré des personnalités éminentes qui entretiennent une relation plus distante avec les principaux partis de gauche : Raphaël Glucksmann, dont la campagne ‘Wake Up Europe’ pour le Parti Socialiste a connu un succès surprenant aux élections européennes, et François Ruffin, un agitateur qui siège de manière informelle sur les bancs de LFI mais agit plus souvent comme une voix indépendante à gauche.

De manière évidente, leur prétendu catalyseur est la perspective d’une victoire de l’extrême droite aux élections législatives. La décision de Macron de dissoudre l’assemblée nationale a pris la plupart des gens par surprise et reflète une volonté de jouer avec ce qu’il pensait être toujours un refus, parmi une majorité d’électeurs français, d’accepter que le Rassemblement National de Marine Le Pen (RN) puisse jamais devenir le parti au pouvoir. Conscientes que ce refus historique pourrait ne plus exister, les forces disparates de la gauche ont décidé de mettre de côté leurs différences. Cette action ‘antifasciste’, cependant, est loin d’être la seule raison de la genèse de cette nouvelle alliance — et peut-être même pas la plus importante.

Beaucoup plus essentielle à la formation du Nouveau Front Populaire a été la dissolution électorale du ‘Macronisme’ en tant que force politique. Déjà évident lors des élections législatives de 2022, où le parti de Macron n’a pas pu remporter une majorité absolue à l’Assemblée nationale, cela a été confirmé de manière spectaculaire par la faible performance du parti présidentiel aux élections européennes de juin 2024. Lors de ces élections, le score combiné des socialistes, des Verts et de la LFI aurait placé la gauche à seulement cinq points du RN, et à 10 points devant le parti de Macron. Ainsi, ce qui a réuni ces figures politiques — qui, quelques jours seulement avant les élections européennes, se sont violemment accusées d’antisémitisme et de bellicisme — a été l’odeur du pouvoir politique. Si la gauche unie devance le parti de Macron au premier tour dimanche, il est très probable qu’ils affronteront l’extrême droite au second tour. Et dans ces circonstances, ils croient en leurs chances.

‘Beaucoup plus essentielle à la formation du Nouveau Front Populaire a été la dissolution électorale du ‘Macronisme’ en tant que force politique.’

Paradoxalement, cependant, tout en étant sa force motrice, l’implosion du ‘Macronisme’ est également la principale limitation du Nouveau Front Populaire en tant que force politique. Après tout, il n’opère qu’au niveau des acteurs politiques eux-mêmes. Il n’y a pas de mouvement social associé ni de rassemblement de forces sociales rivales. Son programme est un amalgame des intérêts des différents partis impliqués, avec un programme économique axé sur la lutte contre la crise du coût de la vie.

Cette ancienne stratégie keynésienne de stimuler la demande globale par les dépenses publiques rappelle le programme socialiste de Mitterrand de 1981. Cependant, sans un ancrage solide dans la société française, il est probable que ces mesures ne durent pas plus longtemps que celles de Mitterrand, qui a opéré un virage à 180 degrés deux ans après le début de son premier mandat de président. Par ailleurs, le Nouveau Front Populaire a déclaré qu’il rejetterait les règles budgétaires de l’UE sans expliquer comment il procéderait. Une fois de plus, il y a un contraste frappant avec le Front Populaire original, dont les réalisations législatives comprenaient la semaine de 40 heures, deux semaines de congé payé et une multitude de nouvelles dispositions du code du travail français qui ont été scellées dans l’Accord de Matignon de juin 1936.

Offrant peu en comparaison, le Nouveau Front Populaire n’est rien de plus ni de moins qu’un produit de l’effondrement du centre. Pour cette raison, il n’est pas surprenant de voir le retour de certains visages familiers de la Gauche des années 90 et du début des années 2000, tels que l’ancien Premier ministre socialiste Lionel Jospin. Loin d’être une force radicale de changement, il reflète plutôt la conviction parmi les anciens dirigeants que c’est le bon moment pour imposer une gauche plus modérée à une gauche dominée par Mélenchon. En effet, il semble approprié que le Nouveau Front Populaire puisse bien être un véhicule pour le retour politique du dernier président socialiste, François Hollande, qui se présente dans son ancienne circonscription en Corrèze, au cœur de la France.

De manière cruciale, parce qu’il est le produit de l’implosion du ‘Macronisme’, le Nouveau Front Populaire contient en lui les germes de sa propre disparition. Rien de plus que le produit d’un vide, il est déjà en train de se désagréger alors que les figures rivales en son sein argumentent pour montrer pourquoi elles sont les meilleures candidates au poste de Premier ministre. Mélenchon a refusé de se retirer, déclarant plutôt qu’il est prêt à gouverner, suscitant la colère de tous les autres partis du Nouveau Front Populaire qui ont passé des années à critiquer ses excès rhétoriques et son narcissisme. L’échange récent entre Hollande et Mélenchon, où chacun a dit que l’autre devrait ‘se taire’, en dit long sur l’ambiance au sein de la coalition.

En d’autres termes, son essence est loin de celle de 1936, lorsque le Front Populaire était l’expression politique d’un vaste mouvement social enraciné dans la lutte du monde du travail : salaire, conditions de travail et droit à l’organisation collective. À l’époque, c’était avant tout un mouvement ouvrier, qui a généré de nouvelles formes de culture populaire préservées dans la photographie joyeuse et ensoleillée de Pierre Jamet et de nombreux autres. Le Nouveau Front Populaire de 2024, en revanche, est une alliance de rivaux politiques survenant dans un contexte de pessimisme culturel généralisé. Un succès électoral pourrait lui donner un certain élan, mais même alors, il est difficile de voir comment il pourrait échapper aux pressions fragmentaires qui l’ont engendré en premier lieu.


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