Interviewée à la télévision française vendredi dernier, une parlementaire éminente de La France Insoumise d‘extrême gauche, Matilde Panot, a défendu une affirmation faite par son leader, Jean-Luc Mélenchon, sur l’inexpérience relative de Léon Blum lorsqu’il est devenu chef du gouvernement français en 1936. Lorsqu’on lui a rappelé que Blum avait siégé au parlement pendant plus de 15 ans en tant que leader de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), elle a concédé sa défaite. « Je ne sais plus d’où je tenais ça », marmonna-t-elle.
Une confusion similaire plane sur le Nouveau Front Populaire. Le parti est le résultat auquel on s’attendait suite à la décision d’Emmanuel Macron de convoquer des élections anticipées. Son nom évoque l’union de la gauche dans les années 30, qui a culminé avec la formation du gouvernement du Front Populaire en 1936 : un gouvernement dirigé par Léon Blum et un ensemble de ministres de la SFIO et du Parti Radical, soutenu de l’extérieur par le Parti Communiste Français (PCF) de Maurice Thorez.
Pourtant, comme l’a démontré Panot, le choix du nom ne découle pas d’une connaissance intime de l’histoire du Front Populaire. Aujourd’hui, il s’agit simplement d’un slogan, célébrant une démonstration étonnamment rapide d’unité à gauche et — surtout — un désir d’insister auprès des électeurs français sur le danger d’une victoire de l’extrême droite aux élections à venir. En effet, si l’on compare de plus près le monde de 1936 avec celui de 2024, on peut voir comment le Nouveau Front Populaire est une bête très différente de son homonyme : au lieu de refléter les intérêts changeants de certains groupes sociaux en France, il est une expression de l’opportunisme électoral.
Comme l’historienne Claire Andrieu l’a récemment observé, le Front Populaire de 1936 était une fusion des mouvements socialistes et communistes en France, imposée aux dirigeants de partis et parlementaires réticents par des membres et militants déterminés à bloquer la dérive de la France vers un nationalisme autoritaire et à obtenir des gains spécifiques dans la lutte des classes entre travailleurs et patrons. Ce mouvement a été déclenché par des manifestations violentes menées par le groupe d’extrême droite Action Française le 6 février 1934, que beaucoup ont considéré comme une tentative de prise de pouvoir. Pendant des mois, les dirigeants du PCF et de la SFIO ont résisté à ces demandes de base pour l’unité, jusqu’à ce que le PCF soit sommé par Moscou de conclure un accord avec les socialistes.
Cette fusion, et l’élaboration d’un programme législatif commun, a été rendue plus difficile par la nature de la démocratie française à l’époque. Bien qu’excluant encore les femmes, la Troisième République était profondément enracinée dans la société. Son arène politique était peuplée non seulement de partis politiques, mais aussi d’une multitude de groupes de travailleurs organisés, et d’une pléthore de comités et ligues d’intellectuels. Par conséquent, le programme du Front Populaire a été validé non seulement par le PCF, la SFIO et les Radicaux, mais aussi par les principaux syndicats du pays. Ainsi, la coalition était l’une des premières expressions de ce que le sociologue Peter Wagner a appelé l’ère de la ‘modernité organisée’ : une action collective, poursuivie par des groupes sociaux, structurant la vie des individus, des familles, des villages et des villes, résultant en une fusion entre la politique et la société.
En revanche, le Nouveau Front Populaire de 2024 a été négocié en six jours, à huis clos, par les chefs de parti. L’accord a été conclu entre le Parti Socialiste, les Verts, La France Insoumise (LFI) et le Parti Communiste Français. Il a également attiré des personnalités éminentes qui entretiennent une relation plus distante avec les principaux partis de gauche : Raphaël Glucksmann, dont la campagne ‘Wake Up Europe’ pour le Parti Socialiste a connu un succès surprenant aux élections européennes, et François Ruffin, un agitateur qui siège de manière informelle sur les bancs de LFI mais agit plus souvent comme une voix indépendante à gauche.
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